Radjaïdjah Blog

lundi 6 décembre 2021

5 philosophical short stories for xmas

Time for a humble present, here are five philosophical short stories.

Isaac Asimov's The Last Question describes the world as a computer, or does it.

Daniel Dennett's Where am I takes Putnam's brain in a vat thought experiment to the next level.

Ursulas Le Guin's The Ones Who Walk Away from Omelas is a tale of a city and its inhabitants.

Jorge Luis Borges' Tlön, Uqbar, Orbis Tertius is a literary labyrinth with broken paths.

Howard P. Lovecraft's Ex Oblivione is a mellow experience.

mardi 30 mars 2021

Qu'as-tu, mer


Qu'as-tu, mer, pour t'enfuir, Jourdain, pour retourner en arrière ?

Qu'avez-vous, montagnes, pour sauter comme des béliers, et vous, collines, comme des agneaux ?

Tremble devant le Seigneur, ô terre ! Devant le Dieu de Jacob,

Qui change le rocher en étang, le roc en source d'eaux.

vendredi 19 février 2021

Lucid

Lucid-Dreaming

This short entry is not about CCIV but is meant to inform of a real-time dialogue between experimenters and dreamers during REM sleep.

vendredi 22 mai 2020

Kalsarikänni Times or A Path to A Societal Apax

During these challenging C19 times, people stay at home and, as in The Little Prince, drink to forget. Now, because they are at home, no need do dress formally, or better, no need to dress at all.

The Finnish language has a word for that: Kalsarikänni (it describes the specific Scandinavian behavior consisting in absorbing alcoholic beverages in order to of get drunk at home in underwear).

Now, this word is not immediatly translatable, as its meaning is unique to the Finnish language. Any direct linguistic transposition would be lost in translation.

A gamified way to discover such words and expressions is the Sticky Terms application by Philipp Stollenmayer.

Tenants of the weak Sapir-Whorf hypothesis could even argue that untranslatable words from a language embody its spirit.

Now, let's see another facet. What is the common feature shared among the Hebrew words Gevina (cheese), Zechuchith (glass), and Sfarad (Spanish)?

These words appear exactly once in the Tanach (the Bible, to simplify), hence they are difficult to translate.

In linguistics, words appearing with only one occurrence within a corpus (such as the Old Testament, or the literary writings from an author) are called apax legomenon (from ancient Greek άπαξ λεγόμενον, "told once").

Because of its unicity, an apax is somehow a separation, a cut within a text. There is a before, and an after. Like the inverted nuns (׆) in the Torah (Numbers 10:35–36).

The musicologist Wladimir Jankelevitch extends this notion of linguistic apax (single occurence of a peculiar term within a literary corpus) or semantic apax (unique meaning of a term within a peculiar context) to the one of existential apax.

The original essence of this concept is that every moment in a life is an apax. It is a frame, unique, and therefore needs to be enjoyed and cherished.

A variation of the existential apax is that when a once-in-a-lifetime event occurs, it might lead to internal realization and dramatic changes in life. For example, for an individual, the emergence of a disease such as cancer can lead to definitive priority shifting.

But one could also imagine a collective version.

Despite all negative consequences, Covid-19 might arise as a societal apax.

jeudi 2 avril 2020

La légende de Sissa

Comme il faut bien se détendre un peu, une courte histoire qui n'a rien à voir avec le Coronavirus, la Légende de Sissa. Elle a été écrite autour des années 1250 par Ibn Khallikan, un historien kurde qui vivait au sein de l'Empire Abbasside (aujourd'hui Irak).

À l'époque, le roi d'Inde, Shihram, était un sombre tyran qui opprimait constamment ses pauvres sujets. Or, l'un d'entre eux, Sissa fils de Dahir, inventa le jeu d'échecs pour le roi, dans le but de lui montrer qu'il avait besoin des autres pour le protéger et qu'il était donc important de prendre soin de tous ses sujets.

Le roi Shihram était si impressionné qu'il ordonna que le jeu d'échecs devait être conservé dans les plus grands Temples en tant que bijou national et merveille du monde, et enseigné partout. En particulier, c'était un excellent moyen d'entraîner les généraux à l'art de la guerre.

Le roi demanda à Sissa si celui-ci désirait une récompense pour cette fantastique invention. La légende dit que le sage Sissa déclina poliment, mais le roi insista.

Sissa apporta donc un échiquier vide et demanda au roi de déposer un grain de riz sur la première case, deux grains de riz sur la suivante, puis quatre sur la suivante, et ainsi de suite en doublant le nombre de grains de riz à chaque nouvelle case, jusqu'à avoir parcouru toutes les cases de l'échiquier. Le roi, surpris par la modestie apparente du cadeau demandé, donna immédiatement son accord tout en commentant qu'il aurait personnellement demandé bien plus. Il ordonna à ses esclaves d'apporter le riz nécessaire.

Tout se passa bien au début, toutefois le roi et ses conseillers furent surpris de voir qu'arrivés à la moitié de l'échiquier, la trente deuxième case demandait plus de quatre milliards de grains de riz, soit environ cent mille kilos. Le cadeau n'était donc pas si modeste, et Sissa semblait moins stupide. Un peu plus tard, le conseiller principal du roi lui expliqua que l'ensemble des récoltes de l'année et de toutes les années précédentes ne suffiraient pas à payer la récompense de Sissa[1].

Note

[1] On pourrait nommer nombre de Sissa (Sissa number) le nombre de grains de riz requis, soit \( 1+2+4+...+2^{63} = \sum_{k=0}^{63} 2^{k} = 2^{64}-1 \).

jeudi 22 juin 2017

Nuggets

Un petit film d'animation sweet and sour, Nuggets.


Pas hyper joyeux. Bon visionnage !

vendredi 21 avril 2017

My shoes

Is the grass greener on the other side?

My shoes

Who knows?

vendredi 13 janvier 2017

L'interprêtation des rêves

La récente lecture de l'histoire de Joseph (paracha Vayechev) est l'occasion de rappeler une phrase du Talmud :

חלמא דלא מפשר כאגרתא דלא מקריא

Tout rêve non interprêté est comme une lettre non lue.

Le premier rêve qui apparaît dans la Torah est le songe de Jacob sur le Mont Moriah : l'Échelle de Jacob :

« Jacob quitta Beer-Sheva, et s'en alla vers Haran. Il arriva en ce lieu et y resta pour la nuit car le soleil s'était couché. Prenant une des pierres de l'endroit, il la mit sous sa tête et s'allongea pour dormir. Et il rêva qu'il y avait une échelle reposant sur la terre et dont l'autre extrémité atteignait le ciel ; et il aperçut les anges de Dieu qui la montaient et la descendaient ! Et il vit Dieu (...) »

Chagall - L'Échelle de Jacob

Marc Chagall, L'Échelle de Jacob, 1973

Symbole du pont entre le ciel et la terre que matérialise cette échelle, en hébreu, le mot échelle (סלם) a la même valeur numérique que סיני (Sinaï), le lieu du don de la Torah. C'est également la valeur numérique du mot araméen signifiant argent (ממן, Mammon). KabbalaToons dirait que c'est un signe que l'argent peut mener à des sommets, mais qu'il est important de garder les pieds sur Terre.

Néanmoins, il semble que pour le judaïsme, rêver est important, puisque la guemara affirme : Celui qui dort sept jours sans rêver est appelé mauvais. Le rêve transcende la réalité, ce qu'on peut comparer avec par exemple... le chabbat. Six jours dans la semaine sont matériels, on travaille pour manger, alors que le chabbat c'est le contraire, on ne travaille pas, pour très bien manger.

Les rêves suivants dans la Torah concernent Joseph, un des douze fils de Jacob, à propos de gerbes de blé, puis d'astres (Genèse, 37).

05 Joseph eut un songe et le raconta à ses frères qui l’en détestèrent d’autant plus.
06 « Écoutez donc, leur dit-il, le songe que j’ai eu.
07 Nous étions en train de lier des gerbes au milieu des champs, et voici que ma gerbe se dressa et resta debout. Alors vos gerbes l’ont entourée et se sont prosternées devant ma gerbe. »
08 Ses frères lui répliquèrent : « Voudrais-tu donc régner sur nous ? nous dominer ? » Ils le détestèrent encore plus, à cause de ses songes et de ses paroles.
09 Il eut encore un autre songe et le raconta à ses frères. Il leur dit : « Écoutez, j’ai encore eu un songe : voici que le soleil, la lune et onze étoiles se prosternaient devant moi. »
10 Il le raconta également à son père qui le réprimanda et lui dit : « Qu’est-ce que c’est que ce songe que tu as eu ? Nous faudra-t-il venir, moi, ta mère et tes frères, nous prosterner jusqu’à terre devant toi ? »

Ce passage est commenté entre autres dans le Talmud (guemara Berakhot 55a).

ואמר רב חסדא לא חלמא טבא מקיים כוליה ולא חלמא בישא מקיים כוליה

Rav Hisda dit : Ni un bon ni un mauvais rêve n'est réalisé dans tous ses détails.

אלא אמר ר’ יוחנן משום ר’ שמעון בן יוחי כשם שאי אפשר לבר בלא תבן כך אי אפשר לחלום בלא דברים בטלים

Mais dit Rav Yohanan au nom de Rav Simeon ben Yohai :

Comme on ne peut avoir de blé sans épi, de même il est impossible pour un rêve d'être sans quelque chose de vain.

אמר ר’ ברכיה חלום אף על פי שמקצתו מתקיים כולו אינו מתקיים מנא לן מיוסף דכתיב (בראשית לז, ט) והנה השמש והירח וגו

Berekiah dit :

Un rêve, bien qu'il puisse être accompli partiellement, n'est jamais réalisé totalement. D'où apprenons-nous cela ? De Joseph, puisqu'il est écrit : « Voici que le soleil, la lune et onze étoiles se prosternaient devant moi. » (Gen. 37:9).

Un peu plus tard, alors que Joseph est en prison , il a l'occasion d'interprêter les rêves de l'échanson et du panetier (Genèse, 40) :

05 Une même nuit, l’échanson et le panetier du roi d’Égypte firent tous deux un songe, alors qu’ils étaient prisonniers dans la prison. Et chacun des songes avait sa propre signification.
06 Au matin, quand Joseph entra chez eux, il vit qu’ils avaient la mine défaite.
07 Il demanda donc aux dignitaires de Pharaon qui étaient avec lui au poste de garde, dans la maison de son maître : « Pourquoi vos visages sont-ils si sombres aujourd’hui ? »
08 Ils lui répondirent : « Nous avons eu un songe, et il n’y a personne pour l’interpréter. » Joseph leur dit : « N’est-ce pas à Dieu qu’il appartient d’interpréter ? Racontez-moi donc ! »
09 Le grand échanson raconta à Joseph le songe qu’il avait fait : « J’ai rêvé qu’une vigne était devant moi.
10 Elle portait trois sarments. Elle bourgeonnait, fleurissait, puis ses grappes donnaient des raisins mûrs.
11 J’avais entre les mains la coupe de Pharaon. Je saisissais les grappes, je les pressais au-dessus de la coupe de Pharaon et je lui remettais la coupe entre les mains. »
12 Joseph lui dit : « Voici l’interprétation : les trois sarments représentent trois jours.
13 Encore trois jours et Pharaon t’élèvera la tête, il te rétablira dans ta charge, et tu placeras la coupe entre ses mains, comme tu avais coutume de le faire précédemment quand tu étais son échanson.
14 Mais quand tout ira bien pour toi, pour autant que tu te souviennes d’avoir été avec moi, montre ta faveur à mon égard : rappelle-moi au souvenir de Pharaon et fais-moi sortir de cette maison !
15 En effet, j’ai été enlevé au pays des Hébreux, et là non plus je n’avais rien fait pour qu’on me jette dans la citerne. »
16 Voyant que Joseph avait fait une interprétation favorable, le grand panetier lui dit : « Moi, j’ai rêvé que je portais sur la tête trois corbeilles de gâteaux.
17 Et dans la corbeille d’au-dessus, il y avait tous les aliments que le panetier fabrique pour la nourriture de Pharaon, et les oiseaux picoraient dans la corbeille au-dessus de ma tête. »
18 Joseph répondit : « Voici l’interprétation : les trois corbeilles représentent trois jours.
19 Encore trois jours et Pharaon t’élèvera la tête, il te pendra à un arbre, et les oiseaux picoreront ta chair. »
20 Le troisième jour, jour anniversaire de Pharaon, celui-ci fit un festin pour tous ses serviteurs. Il éleva la tête du grand échanson et celle du grand panetier en présence de ses serviteurs :
21 il rétablit dans sa charge le grand échanson, et celui-ci plaça la coupe entre les mains de Pharaon ; 22 mais le grand panetier, il le pendit, comme l’avait annoncé Joseph.
23 Toutefois le grand échanson ne se souvint pas de Joseph ; il l’oublia.

Puis (Genèse, 41) :

01 Deux ans plus tard, Pharaon eut un songe. Il se tenait debout près du Nil,
02 et voici que montaient du Nil sept vaches, belles et bien grasses, qui broutaient dans les roseaux.
03 Puis, derrière elles, montaient du Nil sept autres vaches, laides et très maigres. Elles se tenaient à côté des premières, sur la rive du Nil.
04 Et les vaches laides et très maigres mangeaient les sept vaches belles et bien grasses. Alors Pharaon s’éveilla.
05 Il se rendormit et fit encore un songe : sept épis montaient sur une seule tige ; ils étaient gros et beaux.
06 Puis, après eux, germaient sept épis maigres et desséchés par le vent d’est.
07 Et les épis maigres avalaient les sept épis gros et pleins. Alors Pharaon s’éveilla : c’était un songe !
08 Mais le matin, son esprit était troublé ; il fit convoquer tous les magiciens et tous les sages d’Égypte. Pharaon leur raconta les songes, mais personne ne pouvait les interpréter.
09 Alors le grand échanson parla à Pharaon en ces termes : « Aujourd’hui, je me rappelle mes fautes.
10 Pharaon s’était irrité contre ses serviteurs et il m’avait mis au poste de garde, dans la maison du grand intendant, et avec moi, le grand panetier.
11 Une même nuit, nous avons fait un songe, moi et lui. Et chacun des songes avait sa propre signification.
12 Il y avait là, avec nous, un jeune Hébreu, serviteur du grand intendant. Nous lui avons raconté nos songes et il a donné à chacun l’interprétation du songe qu’il avait fait.
13 Et ses interprétations s’avérèrent exactes : moi, on m’a rétabli dans ma charge, et l’autre, on l’a pendu. »
14 Pharaon fit appeler Joseph. En toute hâte, on le tira de son cachot. Il se rasa, changea de vêtements et se rendit chez Pharaon.
15 Pharaon dit à Joseph : « J’ai fait un songe et personne ne peut l’interpréter. Mais j’ai entendu dire de toi, qu’il te suffit d’entendre raconter un songe pour en donner l’interprétation. »
16 Joseph répondit à Pharaon : « Ce n’est pas moi, c’est Dieu qui donnera à Pharaon la réponse qui lui rendra la paix. »
17 Alors, Pharaon dit à Joseph : « Dans le songe, j’étais debout au bord du Nil,
18 et voici que montaient du Nil sept vaches, bien grasses et de belle allure, qui broutaient dans les roseaux.
19 Puis, derrière elles, montaient sept autres vaches, chétives, très laides et décharnées. Je n’en avais jamais vu d’une telle laideur dans tout le pays d’Égypte.
20 Les vaches décharnées et laides mangeaient les premières vaches, les grasses,
21 qui entraient dans leur panse. Mais on ne s’apercevait pas que les grasses étaient entrées dans leur panse : elles restaient aussi laides qu’avant. Alors je me suis réveillé.
22 Mais j’ai encore vu, en songe, sept épis qui montaient sur une seule tige ; ils étaient pleins et beaux.
23 Puis, après eux, germaient sept épis durcis, maigres et desséchés par le vent d’est.
24 Et les épis maigres avalaient les sept beaux épis. J’en ai parlé aux magiciens, mais personne n’a pu me fournir d’explication. »
25 Joseph répondit à Pharaon : « Pharaon n’a eu qu’un seul et même songe. Ce que Dieu va faire, il l’a indiqué à Pharaon.
26 Les sept belles vaches représentent sept années, et les sept beaux épis, sept années : c’est un seul et même songe !
27 Les sept vaches décharnées et laides qui montaient derrière les autres représentent sept années ; de même, les sept épis vides et desséchés par le vent d’est. Ce seront sept années de famine.
28 C’est bien ce que j’ai dit à Pharaon : ce que Dieu va faire, il l’a montré à Pharaon.

La saga de Joseph a été analysée par de nombreux sages, rabbins, et commentateurs juifs et d'autres religions ; ceux qui apprécieraient une approche plus académique pourront se tourner vers le cours du professeur Thomas Römer donné au Collège de France : « L’Égypte et la Bible : l’histoire de Joseph (Genèse 37-50) », dont le pitch est : L’histoire de Joseph, un des douze fils du patriarche d’Israël Jacob, est l’une des plus fameuses success story de la Bible. Après avoir été vendu par ses frères qui le jalousaient, le jeune homme se retrouve à la cour de pharaon où il fait fortune et monte au plus haut sommet de la hiérarchie égyptienne. A travers ce roman biblique, c’est toute une réflexion sur le rôle de la diaspora, qui conclut la saga nationale des Patriarches d’Israël, à la fin du Livre de la Genèse.

La mystique juive nous raconte trois choses sur les rêves :

  • Pendant que l'on dort, un soixantième de l'âme quitte le corps recharger ses batteries dans le monde spirituel, pour ne revenir qu'au moment du réveil.
  • La plupart des rêves sont futiles, et seuls les rêves du matin peuvent être importants.
  • L'interprêtation d'un rêve dépend du sens que l'on lui donne.

Enfin, comme dans le Yi King taoïste, ou comme chez Freud, il existe de nombreux symboles oniriques ; ainsi une marmite, une colombe, ou un fleuve représentent la paix.

En souhaitant de beaux rêves aux lecteurs.

Crédit : l'essentiel de cet article est à mettre au crédit de R. Sabbag.

vendredi 30 septembre 2016

Bonne année 5777

Devinette : à Paris, l'hôtel Richelieu possède 100 chambres, numérotées de 1 à 100, alignées le long d'un grand couloir. Chaque chambre est munie d'un interrupteur individuel permettant d'y allumer la lumière ou de l'éteindre. C'est la nuit, et toutes les chambres sont éteintes. À l'entrée du couloir se trouvent cent personnes. La personne n° 1 traverse le couloir et appuie sur tous les interrupteurs, changeant ainsi l'état de toutes les chambres. Puis la personne n°2 traverse le couloir et appuie sur un interrupteur sur deux, changeant ainsi l'état des chambres 2, 4, 6, etc. Ensuite, la personne n°3 vient appuyer sur un interrupteur sur trois, changeant l'état des chambres 3, 6, 9, 12, etc. Et ainsi de suite jusqu'à ce que la centième personne soit passée. Question : combien de chambres sont-elles allumées après le dernier passage ?

Indice Indice

Quel est l'état final de la centième chambre ?

Réponse Réponse

À la fin, il y aura 10 chambres allumées. À vous de comprendre pourquoi...

Sans transition, nous célébrons ce dimanche l'an 5777 du calendrier séléno-solaire hébraïque.

Pommiel : le meilleur usage d'un iPhone

5777 est un nombre semi-premier, en tant que multiple de deux nombres premiers : 5777 = 109 * 53. Plus précisément, 5777 appartient :

La nouvelle année juive commémore non pas la création du monde, mais celle de l'homme.

שנה טובה ומתוקה

vendredi 22 avril 2016

Un seder plus sûr

Après Bo et When do we eat?, voici en 2016 quelques consignes de sécurité pour Pessah.


Source : Fondation Charles & Lynn Schusterman.

חַג פֶּסַח שָׂמֵחַ

vendredi 29 janvier 2016

Yitro, les 10 commandements

Résumé des épisodes précédents (previously on Shemot) : suite à la dixième plaie, la mort des premiers-nés égyptiens, Pharaon laisse les Hébreux quitter le pays. Après une traversée maritime sortant quelque peu de l'ordinaire et autres péripéties, ces derniers arrivent au pied du Mont Sinaï. Là, grâce à Yitro[1], beau-père de Moïse, dans une nuée d'effets synesthétiques de toute beauté, ils reçoivent les 10 commandements.

1 אָנֹכִי ה' אֱלֹקֶיךָ, אֲשֶׁר הוֹצֵאתִיךָ מֵאֶרֶץ מִצְרַיִם מִבֵּית עֲבָדִים

Je suis l'Éternel, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, d'une maison d'esclavage.

2 לֹא-יִהְיֶה לְךָ אֱלֹקִים אֲחֵרִים, עַל-פָּנָי

Tu n'auras pas d'autre dieu que moi.

3 לֹא תִשָּׂא אֶת-שֵׁם- ה' אֱלֹקֶיךָ, לַשָּׁוְא

Tu n'invoqueras pas le nom de l'Éternel ton Dieu à l'appui du mensonge.

4 זָכוֹר אֶת-יוֹם הַשַּׁבָּת, לְקַדְּשׁוֹ

Souviens-toi du jour du Chabbat pour le sanctifier.

5 כַּבֵּד אֶת-אָבִיךָ, וְאֶת-אִמֶּךָ

Honore ton père et ta mère.

6 לֹא תִרְצָח

Ne tue pas.

7 לֹא תִנְאָף

Ne commets pas d’adultère.

8 לֹא תִגְנֹב

Ne vole pas.

9 לֹא-תַעֲנֶה בְרֵעֲךָ עֵד שָׁקֶר

Ne rends pas de faux témoignage au sujet de ton prochain.

10 לֹא תַחְמֹד

Ne convoite pas.

Les 10 commandements

Les 10 commandements (ou plus précisément les 10 paroles), célébrés lors de la fête de Chavouot, constituent une pierre angulaire du judaïsme. Mais sont-ils utiles en pratique ? Une réponse intéressante est apportée par Rav David Fohrman, à l'aide d'une analyse s'appuyant sur la structure des 10 commandements.

Au-delà du contenu purement textuel des commandements, la structure que leur a conférée son auteur va éclairer leur sens sous un nouveau jour.

Pour en savoir plus, vous êtes invités à lire La Structure Cachée des Dix Commandements, traduction et adaptation française de très bonne qualité de Seeing the Superstructure of the Ten Commandments.

Ceux qui suivent le blog depuis ses débuts savent que LA référence sur les 10 commandements reste la présentation de George Carlin sur le sujet.

Note

[1] Parfois également orthographié Ytro, Ythro, Yithro, ou francisé en Jéthro.

vendredi 11 septembre 2015

Get Clarity

Pour la nouvelle année, un clip daft-punkien : « Éclaire ta vie » (Get Clarity).


Bonne année 5776 !

vendredi 1 mai 2015

À quoi servent les maths ?

La légende raconte qu'à un congrès de physique un quidam interpella le mathématicien Henri Poincaré en ces termes :

"Mais enfin Monsieur Poincaré, vos mathématiques, là, à quoi servent-elles ?"

Question à laquelle le mathématicien avait répondu par :

"Et vous, Monsieur, à quoi servez-vous ?"

un peu dans l'esprit de ce commentaire.

Alors, de même qu'on peut se demander à quoi sert l'humour, on peut également poser la question : à quoi servent les mathématiques ?

Après tout, qui a après le lycée réutilisé dans sa vie un compas ?

Comme le note Neal Koblitz dans son essai sur la relation compliquée entre mathématiques et cryptographie, le grand Hardy n'écrivait-il pas en 1940[1] :

« À la fois Gauss et de moindres mathématiciens peuvent se réjouir qu'il y ait une science [la théorie des nombres] qui de toutes façons, et selon eux, devrait rester éloignée des activités humaines ordinaires, et rester noble et propre. »

La cryptographie est par la suite venue remettre en question l'inutilité présupposée de la théorie des nombres.

Lors de la dernière Saint-Patrick (17 mars) avait lieu en Suisse une conférence sur le thème de l'utilité des mathématiques. Vaughan Jones (médaille Fields 1990) a parlé de noeuds, tresses, groupes, et kitesurf. Stanislav Smirnov (médaille Fields 2010) a parlé d'ordre, d'irrégularité, de fractales, et de percolation. Martin Hairer (médaille Fields 2014) a parlé des cours de la bourse et de Tétris. Pour ceux qui ont raté ça, la conférence est disponible en ligne.

Pour finir, il est intéressant de mentionner le TEDx talk de Eduardo Sáenz de Cabezón : Math is forever.

En conclusion, les maths sont moins inutiles que ce que l'on pourrait croire, et lorsqu'elles sont inutiles, elles sont belles.

Note

[1] C'est une citation souvent tronquée, et Hardy voulait plutôt dire le contraire, il écrivait en effet : But here I must deal with a misconception. It is sometimes suggested that pure mathematicians glory in the uselessness of their work, and make it a boast that it has no practical applications. The imputation is usually based on an incautious saying attributed to Gauss, to the effect that, if mathematics is the queen of the sciences, then the theory of numbers is, because of its supreme uselessness, the queen of mathematics—I have never been able to find an exact quotation. I am sure that Gauss’s saying (if indeed it be his) has been rather crudely misinterpreted. If the theory of numbers could be employed for any practical and obviously honourable purpose, if it could be turned directly to the furtherance of human happiness or the relief of human suffering, as physiology and even chemistry can, then surely neither Gauss nor any other mathematician would have been so foolish as to decry or regret such applications. But science works for evil as well as for good (and particularly, of course, in time of war); and both Gauss and less mathematicians may be justified in rejoicing that there is one science at any rate, and that their own, whose very remoteness from ordinary human activities should keep it gentle and clean. Godfrey H. Hardy, A Mathematician Apology (1940), p. 33.

vendredi 3 octobre 2014

The Yom Kippur Drunk

(as told by Yanki Tauber)

Those who arrived early at the village synagogue on Yom Kippur eve could not but notice the man sleeping in a corner. His soiled clothes, and the strong scent of alcohol that hovered about him, attested to the cause of his slumber at this early hour. A Jew drunk on the eve of the Holy Day? Several of the congregants even suggested that the man be expelled from the synagogue.

Soon the room filled to overflowing, mercifully concealing the sleeping drunk from all but those who stood in his immediate vicinity. As the sun made to dip below the horizon, a hush descended upon the crowd. The Rebbe entered the room and made his way to his place at the eastern wall. At a signal from the Rebbe, the ark was opened, and the gabbai began taking out the Torah scrolls in preparation for the Kol Nidrei service.

This was the moment that the drunk chose to rise from his slumber, climb the steps to the raised reading platform in the center of the room, pound on the reading table, and announce: "Ne'um attah horeita!" Apparently, the crowded room, Torah scrolls being carried out of the open ark, seen through a drunken haze, appeared to the man as the beginning of hakafot on Simchat Torah! The drunk was confusing the most solemn moment of the year with its most joyous and high-spirited occasion.

The scandalized crowd was about to eject the man from the room when the Rebbe turned from the wall and said: "Let him be. For him, it's already time for hakafot. He's there already."

On the following evening, as the Rebbe sat with his chassidim at the festive meal that follows the fast, he related to them the story of Reb Shmuel, the Kol Nidrei drunk.

On the morning of the eve of the Holy Day, Reb Shmuel had heard of a Jew who, together with his wife and six small children, had been imprisoned for failing to pay the rent on the establishment he held on lease from the local nobleman. Reb Shmuel went to the nobleman to plead for their release, but the nobleman was adamant in his refusal. "Until I see every penny that is owed to me," he swore, "the Jew and his family stay where they are. Now get out of here before I unleash my dogs on you."

"I cannot allow a Jewish family to languish in a dungeon on Yom Kippur," resolved Reb Shmuel and set out to raise the required sum, determined to achieve their release before sunset.

All day, he went from door to door. People gave generously to a fellow Jew in need, but by late afternoon Reb Shmuel was still 300 rubles short of the required sum. Where would he find such a large sum of money at this late hour? Then he passed a tavern and saw a group of well-dressed young men sitting and drinking. A card-game was underway, and a sizable pile of banknotes and gold and silver coins had already accumulated on the table.

At first he hesitated to approach them at all: what could one expect from Jews who spend the eve of the Holy Day drinking and gambling in a tavern? But realizing that they were his only hope, he approached their table and told them of the plight of the imprisoned family.

They were about to send him off empty-handed, when one of them had a jolly idea: wouldn't it be great fun to get a pious Jew drunk on Yom Kippur? Signaling to a waiter, the man ordered a large glass of vodka. "Drink this down in one gulp," he said to the Reb Shmuel, "and I'll give you 100 rubles."

Reb Shmuel looked from the glass that had been set before him to the sheaf of banknotes that the man held under his nose. Other than a sip of l'chayim on Shabbat and at weddings, Reb Shmuel drank only twice a year - on Purim and Simchat Torah, when every chassid fuels the holy joy of these days with generous helpings of inebriating drink so that the body should rejoice along with the soul. And the amount of vodka in this glass - actually, it more resembled a pitcher than a glass - was more than he would consume on both those occasions combined. Reb Shmuel lifted the glass and drank down its contents.

"Bravo!" cried the man, and handed him the 100 rubles. "But this is not enough," said Reb Shmuel, his head already reeling from the strong drink. "I need another 200 rubles to get the poor family out of prison!"

"A deal's a deal!" cried the merrymakers. "One hundred rubles per glass! Waiter! Please refill this glass for our drinking buddy!"

Two liters and two hundred rubles later, Reb Shmuel staggered out of the tavern. His alcohol-fogged mind was oblivious to all - the stares of his fellow villagers rushing about in their final preparations for the Holy Day, the ferocious barking of the nobleman's dogs, the joyous tears and profusions of gratitude of the ransomed family - except to the task of handing over the money to the nobleman and finding his way to the synagogue. For he knew that if he first went home for something to eat before the fast, he would never make it to shul for Kol Nidrei.

"On Rosh HaShanah," the Rebbe concluded his story, "we submitted to the sovereignty of Heaven and proclaimed G-d king of the universe. Today, we fasted, prayed and repented, laboring to translate our commitment to G-d into a refined past and an improved future. Now we are heading towards Sukkot, in which we actualize and rejoice over the attainments of the 'Days of Awe' through the special mitzvot of the festival -- a joy that reaches its climax in the hakafot of Simchat Torah. But Reb Shmuel is already there. When he announced the beginning of hakafot at Kol Nidrei last night, this was no 'mistake.' For us, Yom Kippur was just beginning; for him, it was already Simchat Torah...."

(source: chabad.org)

vendredi 28 février 2014

Life as a video game

Sometimes it's good to do a little bit of introspection or extraspection. In the former case, you see yourself from an internal point of view. In the latter, you see yourself from an external point of view, like in a video game. After all, isn't life role playing?

Seeing yourself as a character of a videogame that you control remotely offers some insights for personal development, as the video game programmer Steve Pavlina noticed in his podcast on reality.

Now it took me over a year to figure this out, but I think I finally understand it in a way that makes sense, and that seems internally congruent. So here's how I currently see the nature of reality.

I see that physical reality is the program, consciousness is the programmer, and the Law of Attraction is the interface between them. Or physical reality is a simulation, or a projection, of consciousness. There's only one consciousness, and that's what my identity is centered on, this one consciousness. Now, the consciousness is not my physical body, my physical body is part of my consciousness, just as equally as everything else experience, I experience.

So while, the physical body I control gives me perspective, it gives me a way of interacting and communicating with the simulation. But it's no more me, it's no more my real identity, than if I were, say, playing a video game? And I'm controlling a character on the screen. See, my physical body is just the character I control on the screen. But really, when I'm playing the video game, the game is the entire simulation. And my real being is outside that simulation.

Well, in this case, I'm saying that my real being is consciousness itself, and that the entire simulation of reality is taking place within that consciousness. I am that consciousness, but I have control over a part of the simulation, direct control, over my physical body. That's the part I can control the best. However, through the Law of Attraction, I also have control over every other part of the simulation as well. But there are some limitations on that.

See, the thoughts are the instructions, to the simulation. My thoughts. The thoughts of consciousness itself. But _every_ thought is an instruction. Or, in the language of the Law of Attraction, you would say, every thought is an intention. And physical reality is the sum total of every instruction or of every intention.

Now let's talk about some of the limitations on this, and some of the mechanisms by which this works. First of all, perception is also thought, which means it's also intention, which means it's also creative. See, there's no perception without creation. This answers the question, why does reality seem persistent? Why can't you just think of a thought that's totally incongruent with the reality you're experiencing, and have an immediate shift? And the reason is that you're always perceiving the reality you're getting. And so you can't have that immediate shift because your observations are also your thoughts, your observations are new instructions that are feeding back into the simulation. So the simulation has this persistence to it because the very act of perceiving it perpetuates it. Does that make sense?

So by observing the simulation, you're actually instructing it. Your observations about the simulations are in fact instructions to continue perpetuating what you're getting. This is why your life tends to be somewhat consistent from day to day to day - because your thoughts are persistent, because you keep observing the same things, you live in the same place, you keep observing the same location. If you changed your observations about reality, however, in a massive way, then reality itself, the simulation would be reprogrammed, and would shift in a massive way as well. And in fact, this is exactly what happens, but it happens in such a way that you don't even think about it.

In practice, it is possible to feel this body-mind dualism! Outer Body Labs, a "technologically induced out-of-body-experience game studio" who was present at Lift14, and whose pitch is see yourself seeing your self, offers such an experience. Imagine wearing a helmet or goggles (think Google Glass ou Oculus Rift) inside which you see what an external bluetooth camera pointed to you broadcasts. Or, imagine yourself wearing these electronic glasses, and carrying some big antenna with a camera mounted at the top directed downwards and feeding the glasses, in such a way that you would see yourself from an external eye.

See and control yourself from a third person perspective as you compete or collaborate in various physical tasks, games, activities and puzzles.

This is not virtual reality! At OuterBody Labs we move your eyesight, and your sense of self, into a video camera that is aimed at your body. This mind-hack has unique and wonderful dissociative effects. Will you be able to put your subjectivity into perspective?

So, what you see in the glasses is yourself, from the point of view of the camera (which can be fixed or mobile). On the screen, it appears as a character in a video game, that you can act upon remotely using your body as the controller, like real-life Sims. It offers a new perspective to your life!

The Machine to be Another project also goes in this direction. It "is an Open Source Art investigation on the relation of Identity and Empathy that has been developed on a basis of low budget experiments of Embodiment and Virtual Body Extension".

This interactive performance-installation is built in 2 identical spaces: one for the user and another for the performer.

Through immersive goggles (head mounted displays), the user sees a video with the eyes’ perspective of a different person (the performer), who follows the former’s movements. So, it all happens in a way in which the user kind of ‘controls’ the performer‘s movements.

The user can move and interact with objects inside a room, while listening to the performer‘s thoughts through a set of headphones. That generates the perception of someone speaking inside their mind.

The video transmitted to the user’s goggles is generated by a camera attached to the perfomer, that records his/her point of view in real time. The performer also wears a microphone used to tell a short story about his/her existence. This non lineal narrative is connected to the objects in the room (a photo of someone, a childhood toy, a pack of cigarettes, a mirror, etc), making them interactive: when the user interact with one object, the performer starts to speak about his experience and memories related to this object.

In general terms, the system merges technology with other variables: the performance, an interactive narrative (related to objects disposed at the same position in two identical spaces), the experiment’s assistants (with whom they can explore the touch sense), as well as sensorial/motor/physical stimuli disposed in the space, with which the user can interact. As for the objects, we always make use of mirrors and other different things that the user can either throw or feel (like a glass of water or a bunch of flowers).

Beyond augmented or virtual reality, it has to be kept in mind that such perspective can also be attained with spiritual practices like meditation or mind-altering subtances such as kratom or blue lotus. The movie Enter the void evocates dimethyltryptamine (DMT) as a chemical path to see yourself from the outside.

It can lead to larger, metaphysical considerations such as the universe being a simulation or our brains being a vat.

Much ado about nothing, or new perspectives for life?

lundi 10 juin 2013

À quoi sert l'humour ?

Question difficile s'il en est.

Évidemment la première réponse qui vient à l'esprit est : l'humour sert à passer le test de Turing.

Mais le judaïsme s'intéresse aussi à l'humour.

La preuve, l'année dernière Marc-Alain Ouaknin, co-auteur du petit livre "La bible de l'humour juif" était invité à donner une conférence ambitieuse : Le Rire dans la Tora.

Ambitieuse, car le nouveau testament ce n'est pas très drôle, comme le remarque d'ailleurs la Super Theory Of Super Everything de Gogol Bordello :

First time I had read the Bible,
it had stroke me as unwitty
I think it may started rumor
that the Lord ain't got no humor

Le danger d'analyser l'humour, c'est que c'est comme disséquer une grenouille : ça n'intéresse pas grand monde, et à la fin la grenouille meurt.

Tout est ici question de sens. Selon Boris Cyrulnik : en se rendant à Chartres, Péguy voit sur le bord de la route un homme qui casse des cailloux à grands coups de maillets. Son visage exprime le malheur et ses gestes la rage. Peguy s’arrête demande : « Monsieur, que faites-vous ? » « Vous voyez bien, lui répond l’homme, je n’ai trouvé que ce métier stupide et douloureux. » Un peu plus loin, Péguy aperçoit un autre homme qui, lui aussi, casse des cailloux, mais son visage est calme et ses gestes harmonieux. « Que faites-vous, monsieur ? », lui demande Péguy. « Eh bien, je gagne ma vie grâce à ce métier fatigant, mais qui a l’avantage d’être en plein air », lui répond-il. Plus loin, un troisième casseur de cailloux irradie de bonheur. Il sourit en abattant la masse et regarde avec plaisir les éclats de pierre. « Que faites-vous ? », lui demande Péguy. « Moi, répond cet homme, je bâtis une cathédrale ! »

En tout état de cause (et en simplifiant un peu), à partir de la bible M. Ouaknin (Nous n'avons qu'un Dieu et nous n'y croyons pas) s'interroge sur le rôle de l'humour dans la vie et en trouve environ trois :

  1. L'humour permet de contourner la censure (politique, sociale, théologique) : en considérant l'histoire d'Abram et Saraï (et une question de jouissance féminine (Eden)[1] qui serait traduite par « règles »[2] pour occulter la féminité de Saraï), la conclusion est que l'humour n'est qu'un prétexte pour parler de ce qui est tabou, de ce qui doit être tû. Sous couvert d'humour, en disant quelque chose on en affirme une autre. Et dans cet ordre d'idée la célèbre mère juive et ses traits typiques ne serait qu'une idée pour occulter l'orgasme féminin[3]. Bon.
  2. Les considérations freudiennes (L'inconscient et ses rapports avec le mot d'esprit) mettent en avant un mécanisme central de l'humour, l'amphibologie. Le fait qu'un mot ait plusieurs sens s'exploite selon deux processus inverses : la réduction polysémique (la signification d'un mot est déduite de son contexte, qui réduit les sens à l'un des sens) et l'amphibologie (le mot est par la suite utilisé dans l'un de ses sens orthogonaux)[4], ce qu'on peut illustrer avec une histoire quasi-rapportée par Rachi, le maître de Troie. Voilà pour l'essence de l'indécence. En octroyant une multiplicité sémantique, à un unique texte ou à une unique expression, l'humour a un rôle dégénérateur.
  3. Enfin, l'humour permet de se sortir de situations tragiques en refusant la fatalité et l'oppression. C'est donc une forme d'expression du libre-arbitre face au déterminisme de ce qui est écrit (par opposition à la pensée grecque et au destin inéluctable d'Oedipe annoncé par l'oracle, ou au fatalisme musulman du voyage à Samarkand[5]). Au-delà de ce que les textes disent, ils peuvent être transcendés par ce qu'ils peuvent vouloir dire, et c'est la diversité de ses interprétations qui constitue sa richesse - de même dans la vie refuser la voie ou le destin nous réduit pour bifurquer dans l'arborescence des sentiers alternatifs constitue une sorte d'amphibologie situationnelle, la base de la liberté[6].

Notes

[1] Cf aussi Elisabeth Lloyd, Stephen Jay Gould, et Shere Hite.

[2] Dans ce cas évidemment Dieu aurait pu écrire directement "règles" dans la Bible ç'aurait été plus simple que de passer par une censure au stade de la traduction.

[3] Comment savoir qu'une femme a eu un orgasme ?

Réponse : Réponse :

Quelle importance ?

[4] Roland Barthes : Il faut garder au mot ses deux sens comme si l'un d'eux clignait de l'oeil à l'autre, et que le sens du mot fût dans ce clin d'oeil, qui fait qu'un même mot, dans une même phrase, veut dire en même temps deux choses différentes.

[5] Un jour, au marché de Boukhara, le ministre du vizir aperçoit la Mort et la voit faire un geste en sa direction. Terrifié à l'idée d'être emmené par elle, il quitte précipitamment la ville et chevauche toute la nuit jusqu'à Samarkand pour mettre entre lui et la mort une distance infranchissable. Entre-temps, le vizir apprend le départ de son ministre. Après enquête, il fait venir la Mort en son palais : «On m'a dit que mon ministre est parti après t'avoir aperçue au marché. Pourquoi lui as-tu ainsi fait peur ? Tu voulais l'emmener avec toi ?» «Non pas, répond la Mort. J'ai seulement été surprise de le voir tantôt au marché de Boukhara alors que nous avons rendez-vous demain à Samarkand.»

[6] Tout cela ne répond cependant pas à la vraie question : qui invente les blagues ?

mardi 5 février 2013

Dieu placebo

Le pouvoir de l'imagination

Souvenons-nous de ce récit extrait de l'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu de la trilogie des fourmis de Bernard Werber :

Dans les années 50, un bateau container anglais transportant des bouteilles de Madère en provenance du Portugal débarque en Ecosse pour livrer sa marchandise. Un marin s'introduit dans le container de réfrigération pour vérifier s'il ne reste plus rien à livrer. Nul ne sait qu'il est entré et on referme la porte du container alors que l'homme est encore à l'intérieur. Il tambourine sur les cloisons, mais personne ne l'entend et le bateau repart pour le Portugal.

Le marin trouve de la nourriture dans ce lieu mais il sait qu'il ne pourra pas survivre très longtemps dans cette chambre froide. Il a pourtant la force de saisir un morceau de métal et il grave heure après heure jour après jour, le récit de son terrible martyre. Il énonce avec une précision scientifique son agonie. Comment le froid l'engourdit, comment ses doigts et ses orteils gélent. Comment son nez se transforme en pierre insensible. La morsure de l'air réfrigéré devient une véritable brûlure, son corps qui peu à peu devient un gros glaçon.

Lorsque le bateau jette l'encre à Lisbonne, on ouvre le container et on découvre l'homme mort de froid. On lit son histoire gravée sur les murs. Toutes les étapes de son calvaire y sont décrites avec force détails. Mais le plus extraordinaire n'est pas là. Le capitaine examine le thermomètre du container frigorifique. Il indique 20°C. En fait, le système de réfrigération n'avait pas été activé pendant tout le trajet du retour.

L'homme est mort de froid parce qu'il croyait que le système de réfrigération fonctionnait et qu'il s'imaginait avoir froid. Ce n'était que son imagination qui l'avait tué.

Récit fictif, néanmoins vraisemblable. La puissance de la suggestion et en particulier de l'auto-suggestion est à tel point reconnu par la science de nos jours[1] que les essais cliniques des médicaments se déroulent en aveugle[2] (la moitié de l'échantillon-test, le groupe expérimental, reçoit le médicament et l'autre moitié, le groupe contrôle un traitement ineffectif, et les participants ne savent pas ce qu'ils reçoivent) afin de filtrer l'effet placebo.

Qu'est-ce que l'effet placebo ?

Historiquement, l'effet placebo est le nom du mécanisme à l'origine de l'efficacité clinique d'une substance inerte chez un malade qui croit prendre un médicament pour sa guérison. Une situation de ce genre sur une échelle collective est rapportée par Patrick Lemoine dans son livre Le mystère du placebo :

Il est d’autres situations de recherche où le placebo a été utilisé à l’insu de presque tout le monde, à l’exception d’un ou deux protagonistes. C’est ainsi que Serge Follin, psychiatre français, a pu mettre en place un essai historique sur le Largactil, difficile à concevoir à l’heure actuelle sous le sourcilleux regard des comités d’éthique. La chlorpromazine (Largactil) a obtenu son autorisation de mise sur le marché en 1952 et a rapidement transformé la vie des institutions psychiatriques, permettant la sortie de plusieurs milliers d’aliénés jusque-là réputés incurables.

Cependant, le progrès qu’il représenta eut aussi un effet pervers. Se reposant uniquement sur leurs lauriers pharmacologiques, certains services abandonnèrent toute réflexion institutionnelle et toute tentative psycho-sociologique de désaliénation, paraphrasant le terrible jugement de Tite-Live sur la pax romaina : Ubi solitudinem, pacem appellant[3]. Finies les activités collectives, sorties, fêtes, bals, veillées, et tout ce qui transformait les services ouverts en communautés parfois assez chaleureuses. Une chape morne semblait s’être abattue sur l’asile. Et l’on vit se pérenniser sur les cahiers de pharmacie des prescriptions interminables que les patients un peu trop bien calmés avalaient immuablement, années après années.

Partant de ce constat, Follin tenta une expérience audacieuse. Il jeta son dévolu sur un pavillon ouvert, peuplé de malades chroniques. À l’insu de tout le personnel et, bien entendu des aliénés eux-mêmes, il remplaça subrepticement les gouttes de Largactil par un placebo identique dans sa présentation. Seuls trois médecins et un interne avaient été mis au courant. Ce service vétuste n’accueillait pas de nouveaux malades et formait une communauté chronique et stable de malades réputés difficiles mais généralement calmes. Les doses quotidiennes de Largactil allaient de 150 à 700 mg, la durée de traitement s’échelonnant entre 200 et 900 jours.

L’expérience a duré en tout neuf mois, du premier mai 1959 au premier février 1960. Sur les soixante-huit malades qui ont participé à l’étude, trente-neuf seulement ont été retenus pouir l’analyse ; vingt-neuf en ont été exclus : soit ils ont changé de pavillon, soit ils ont reçu des traitements associés. Il est évident qu’une des grandes faiblesses de cette publication réside dans l’absence de tout renseignement sur ces vingt-neuf exclus. Les résultats de cet essai n’en demeurent pas moins étonnants. La vie pavillonnaire resta inchangée et personne ne se douta une seconde de la « supercherie ». Les incidents ne furent ni plus ni moins nombreux qu’auparavant. De nombreuses modifications de traitements, avec augmentation ou réduction des dosages de placebo, furent effectuées par les internes du service ou de garde, tout ceci à la satisfaction générale. L’été venu, une délégation de malades demanda à retarder l’heure de la distribution du Largactil pour pouvoir profiter plus longuement des soirées ! Leur demande fut acceptée. Quelques patients insomniaques retrouvèrent le sommeil lorsque la dose fut augmentée ; d’autres qui somnolaient s’animèrent lorsque la posologie fut réduite. L’auteur put vérifier que l’élimination du « Largactil vrai » était lente puisque des érythèmes solaires se produisirent comme tous les ans, en début d’été, deux mois après mise sous placebo.

Au bout de neuf mois, on fit les comptes. Pas de changement clinique chez quinze patients dont neuf schizophrènes, deux « déséquilibrés thymiques », un éthylique, deux déments et un patient souffrant d’un syndrome atypique. Des aggravations furent notées chez un schizophrène et un dément chez qui la réapparition de l’agitation ne put être calmée que par des injections de Largactil « vrai ». Certaines améliorations furent telles qu'elles permirent la sortie de onze malades dont quatre schizophrènes, six « déséquilibrés thymiques » et un épileptique. Dans onze autres cas, les progrès furent nets mais insuffisants pour l’autoriser : six schizophrènes, un « déséquilibré thymique », un confus, un arriéré, deux patients jugés « atypiques » étaient concernés. Le total de l’expérience montrait donc vingt-deux améliorations, dix-sept « échecs » dont deux aggravations. Sur vingt schizophrènes, on comptabilisa dix améliorations dont quatre sorties et dix échecs dont une aggravation. Chez les « déséquilibrés thymiques », le succès fut global et manifeste : on y comptait sept améliorations dont six sorties et seulement une aggravation.

La neuroscience cherche à mieux comprendre l'effet placebo à l'aide de l'imagerie cérébrale ; ainsi la tomographie par émission de positrons (PET) a pu montrer que des patients atteints de la maladie de Parkinson augmentaient leur production de dopamine après la prise d'un placebo, soit le même mécanisme biochimique que celui déclenché par le traitement usuel (source).

L'importance conceptuelle et les implications de l'effet placebo sont probablement sous-estimées par la médecine et par la science en général. Les processus de guérison basés sur l'autosuggestion, comme l'autohypnose ou la méthode Coué (qui, d'un point de vue New-Age, suggèrent une domination de l'esprit sur la matière) sont bien connus mais scientifiquement peu documentés.

Une variante chère aux entraîneurs sportifs et coaches personnels est la pensée positive : se concentrer sur son but, le visualiser, l'imaginer accompli, aide à l'atteindre (cela entre plus ou moins consciemment en jeu lors de la mise en place d'objectifs). Évidemment, ce n'est pas la panacée ; si un coach demande à chacun des coureurs du marathon de Paris de remporter la victoire grâce à la pensée positive, alors il est certain que la méthode échouera dans 100% des cas[4], ce qui n'est pas très spectaculaire en termes d'efficacité.

Dieu comme placebo

Sur le plan matériel l'effet placebo est mesurable grâce aux indicateurs de santé que fournissent les analyses médicales. Mais si le monde matériel n'est qu'un reflet d'un monde spirituel plus abstrait, où les états sont moins facilement mesurables, tout porte à croire qu'il y a un analogue spirituel à l'effet placebo dont le mécanisme est basé sur la croyance : la religion.

Les systèmes de croyances sont en effet tellement puissants que la religion peut apporter des bénéfices réels pour la condition physique et la santé mentale (Johns Hopkins Medical Newsletter, Nov 1998). De nombreuses études soulignent en effet que les croyants vivent plus longtemps et en meilleure santé que les sceptiques, même en tenant compte du fait qu'ils ont la plupart du temps une vie plus sobre du fait de leur foi. D'un point de vue évolutionnaire, la bonne tenue des croyants malgré l'évolution de la science provient peut-être de leurs capacité à tisser de puissantes structures sociales et communautaires à travers les rites, cérémonies, fêtes, et traditions[5], qui créent et maintiennent de profonds liens de solidarité (source).

Où est le mal ?

Alors, si l'effet placebo des religions est réel et rend plus heureux, il paraît inutile et vain de s'attaquer à des croyances inoffensives autour de l'âge du monde, de la préscience colorimétrique de la bible, ou du pouvoir des pierres précieuses. Car enfin, où est le mal à nier la réalité des faits et à construire un système de croyances basé sur l'imaginaire collectif ?

Je préfère l'illusion au désespoir.[6]

Nelson Muntz

Mais bien sûr ce n'est pas si simple, car au-delà du fanatisme et des guerres de religions, les croyances religieuses peuvent causer du tort à des innocents, comme le note le site What's the harm[7] en recensant de nombreux cas de fondamentalistes qui pensent guérir leur enfant par le pouvoir de la prière au lieu de l'emmener chez un médecin, entraînant parfois sa mort. Il y a donc un équilibre à trouver entre assistance à personne en danger et respect des libertés individuelles[8].

Quant au judaïsme, qui n'aime pas trop la magie, il refuse d'utiliser la torah pour la guérison et demande de vivre dans une ville qui où se trouve au moins un médecin (source). Le judaïsme récuse la foi-placebo, intéressée, au profit d'une foi et surtout d'actes authentiques[9].

Ressources (en anglais) :

Notes

[1] Toutefois certaines études dans un contexte purement scientifique viennent contrebalancer ce point, sans pour autant remettre en cause l'existence de l'effet placebo dans le contexte médical (Hróbjartsson & Gøtzsche, Is the Placebo Powerless? An Analysis of Clinical Trials Comparing Placebo with No Treatment, 2001), cf aussi Skepdic.

[2] Afin de limiter l'influence de l'expérimentateur ou du comité de supervision, la démarche scientifique a également défini des protocoles en double aveugle et même en triple aveugle.

[3] « Là où ils font la solitude, ils l'appellent paix. »

[4] Disclaimer : chiffre arrondi au centième de point près.

[5] D'ailleurs, on peut penser que plus les rites communs sont absurdes, plus les liens sont renforcés grâce à l'unicité de l'expérience. C'est pour cela que lors des séminaires de teambuilding d'entreprises, les participants ne sont pas incités à aller au cinéma tous ensemble mais plutôt à marcher sur des braises ou à danser la macarena.

[6] VO : Some of us prefer illusion to despair.

[7] Le site parle également des conséquences de la négation de l'autisme et des scams 419. Dans le même style, l'homéopathie peut être dangereuse quand elle incite les malades à ne pas prendre de médicaments qui marchent, sans parler de ses coûts pour la Sécurité Sociale qui suscitent des interrogations à l'Académie Nationale de Médecine.

[8] Un peu comme en droit international l'équilibre entre devoir d'ingérence et respect de la souveraineté nationale est souvent délicat.

[9] Extrait : La sagesse juive authentique affirme qu'être en bonne santé est à la fois la condition et la conséquence d'une bonne vie, mais ce ne doit pas pour autant en être l'objectif. La religion juive authentique nous dit : Oui, prolonge ta vie, mais pour quoi faire ? Oui, deviens plus mince et plus souple, mais pour quoi faire ? Oui, recherche le plaisir, mais pour quoi faire ? Contempler cette question, « pour quoi faire ? » est le commencement de la sagesse spirituelle.

lundi 4 février 2013

Bioéthique 2013

Les débats sociétaux autour de la bioéthique, du transhumanisme, du mariage homo, des mères porteuses, de la vie, deviennent de plus en plus d'actualité. Or, cette semaine avait lieu le Forum Européen de Bioéthique 2013 à Strasbourg, avec un vaste programme. Au-delà des aspects artistiques précédemment évoqués, les thèmes étaient :

Avec les progrès de la médecine et de la biologie de synthèse, l’Homme va-t-il pour la première fois prendre la main sur l’évolution et l’équilibre des espèces vivantes ?

De l’Homme réparé à l’Homme augmenté : en route vers le post-humain ? L’Homme augmenté est doté de techniques qui permettent d’accroitre ses capacités naturelles. Personnage favori de la science-fiction, il se dessine progressivement dans notre réalité. Quelles conséquences pour l’humanité ?

Conférence inaugurale à deux voix. Jean-François Mattei. Ancien ministre, président de la Croix-Rouge française, président du conseil scientifique du Forum Européen de Bioéthique en 2010, membre du conseil scientifique du Forum Européen de Bioéthique. Israël Nisand. Professeur de médecine, chef du pôle de gynécologie obstétrique...

Débat très intéréssant qui cristallise la thématique du forum, portant sur les sujets de l'appartenance du corps (a-t-on un corps ? est-on un corps ?), du transhumanisme, de l'avortement, des dons d'organe, de la procréation médicalement assistée, de l'adoption, des mères porteuses, de l'eugénisme, etc.

Greffe de la main, greffe de la peau, greffe du visage… les succès médicaux se confirment. Mais quelles questions éthiques et identitaires posent-elles au sein de notre société et en premier lieu aux personnes concernées ?

Donner et recevoir. Quels sens revêtent ces deux notions, à priori consensuelles ? Car à y regarder de près, les sens divergent, y compris d’un pays à l’autre en Europe. Le débat est éthique, philosophique et juridique. Pas de don sans dette, disait Marcel Mauss.

Le marché des organes humains prospère à l’échelle mondiale. En dépit des lois, des réseaux sont démantelés, des scandales éclatent, et le récent rapport de l’Organisation mondiale de la santé s’en alarme. Le vol d’organes, la vente d’organes sont juteux et dramatiques pour les personnes et les pays vulnérables.

Rien ne se jette, tout se recycle, y compris les matériaux issus des blocs opératoires. Mais avec quelle information, quel consentement et à quels usages ?

Détaché du corps inerte, la conscience peut néanmoins être active. Etat paradoxal qui pose la question de la subjectivité à la matérialité du corps et interroge le praticien et la société dans ses choix. Même les frontières de la mort s’en trouvent reculées.

Autour du corps comme matière première à modeler selon l'ambiance du moment, les usages et comme support d'expression, y compris dans l'art.

Identifier par l’empreinte, le sang, l’iris, les cheveux… Les outils scientifiques servant à la traçabilité fleurissent et dans leur sillage des questions nombreuses sur la liberté individuelle et les pratiques mercantiles.

De la difficulté à penser le corps, à vivre cette « pesanteur » et sa « chute ». Regards croisés entre les disciplines, les cultures et les époques.

Corps malade, corps tatoué, corps scarifié. Entre les maux, l’ornementation et la sublimation du corps, comment comprendre ces pratiques autour du corps ? Que disent les maux du corps ?

Est-ce une nouvelle façon de vieillir ? LLe moyen de se recréer ? La jeunesse devient aussi un vesteur de l'intégration sociale.

Le droit pose ce postulat : l’indisponibilité du corps humain. Mais entre la note de cadrage et les pratiques, la réalité est beaucoup plus nuancée.

La médecine et la recherche sont en train de franchir un cap important concernant le remplacement de pièces détachées du corps. Jusqu’où ira la médecine du corps en kit ? A quels usages ?

Quelles pratiques entourent les essais sur le médicament et les techniques chirurgicales ?

Le grand marché des pilules de la surpuissance et du bonheur font écho à la suprématie du culte de la performance.

L’Homme va-t-il pour la première fois prendre la main sur l’évolution et l’équilibre naturel des espèces vivantes ?

Entre les tenants du pour et contre reste cette question : a-t-on vraiment le choix de dire oui ou non à la prostitution.

Démêler les fils entre sexe, genre, identité et orientations sexuelles sur un fond d'évolutions sociétales bouleversantes.

Au final, des sujets biophilosophiques assez liés à l'actualité politique et aux réflexions contemporaines.

vendredi 2 novembre 2012

KabbalaToons

KabbalaToons is a chabad series featuring Rabbi Infinity, whose motto is simply Give me one minute I'll give you cosmic conscienceness.

Here is a list of some episodes, each of them being about two-minute long:

Tip: there is a written commentary below each video. Starred episodes are specially appreciated by the Radjaïdjah Blog.

mardi 25 septembre 2012

Les regrets des morts

Bronnie Ware a travaillé pendant des années comme infirmière dans le secteur des soins palliatifs. Elle a eu affaire à de nombreuses personnes à l'aune de la mort, et a recueilli leurs derniers témoignages. Certaines révélations émergent face à la mort, ce n'est plus la peine de se mentir. Alors, quels sont majoritairement les ultimes regrets des mourants ?

1. J'aurais aimé avoir le courage de vivre une vie véritable, plus respectueuse de moi-même, et pas la vie que les autres attendaient de moi.

Des personnes comprennent que leur vie va bientôt s'achever, et, avec du recul, voient leurs rêves inaccomplis, en raison de leurs propres choix. C'est le regret le plus partagé parmi les mourants.

Peut-être que la santé apporte une liberté qu'on ne mesure à sa juste valeur qu'une fois qu'elle nous quitte.

2. J'aurais aimé ne pas travailler si dur.

Passer à côté des grands événements de sa vie à cause de son travail, voilà un autre regret courant.

Peut-être qu'il est difficile de quitter ce tapis roulant qu'est le travail.

3. J'aurais aimé avoir le courage d'exprimer mes sentiments.

Réprimer ses sentiments pour rester en paix avec les autres mène parfois au ressentiment et à l'amertume, au point d'en développer des maladies.

Peut-être que l'honnêteté émotionnelle paie à long terme.

4. J'aurais aimé rester en contact avec mes amis.

Il est difficile de mesurer l'apport de ses amis quand ils sont là. Mais quand ils sont absents, ils manquent, et tout est dépeuplé.

Peut-être que les relations sont plus importantes que la richesse ou l'intelligence.

5. J'aurais aimé me donner les moyens d'être plus heureux.

Certaines personnes découvrent à la fin de leur vie que le bonheur est lui-même un choix.

Enfin, peut-être.

--
Bronnie Ware a finalement rédigé un livre entier sur le sujet : The Top Five Regrets of the Dying - A Life Transformed by the Dearly Departing. Ou comment les regrets des morts peuvent transformer sa propre existence.

Bon Yom Kippour à tous.

mardi 28 août 2012

Peut-on plaire à tout le monde ?

J'ai lu dans quelque endroit qu'un meunier et son fils
L'un vieillard, l'autre enfant, non pas des plus petits,
Mais garçon de quinze ans, si j'ai bonne mémoire,
Allaient vendre leur âne un certain jour de foire.
Afin qu'il fût plus frais et de meilleur débit,
On lui lia les pieds, on vous le suspendit ;
Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre.
Pauvres gens ! idiots ! couple ignorant et rustre !
Le premier qui les vit de rire s'éclata :
« Quelle farce dit-il, vont jouer ces gens-là ?
Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense. »
Le meunier, à ces mots, connaît son ignorance ;
Il met sur pied sa bête, et la fait détaler.
L'âne, qui goûtait fort l'autre façon d'aller,
Se plaint en son patois. Le meunier n'en a cure ;
Il fait monter son fils, il suit : et, d'aventure,
Passent trois bons marchands. Cet objet leur déplut.
Le plus vieux au garçon s'écria tant qu'il put :
« Oh là ! oh ! descendez, que l'on ne vous le dise,
Jeune homme, qui menez laquais à barbe grise !
C'était à vous de suivre, au vieillard de monter.
- Messieurs, dit le meunier, il vous faut contenter. »
L'enfant met pied à terre, et puis le vieillard monte ;
Quand trois filles passant, l'une dit:« C'est grand' honte
Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils,
Tandis que ce nigaud, comme un évêque assis,
Fait le veau sur son âne et pense être bien sage.
- Il n'est, dit le meunier, plus de veaux à mon âge :
Passez votre chemin, la fille, et m'en croyez. »
Après maints quolibets coup sur coup renvoyés,
L'homme crut avoir tort et mit son fils en croupe.
Au bout de trente pas, une troisième troupe
Trouve encore à gloser. L'un dit : « Ces gens sont fous !
Le baudet n'en peut plus, il mourra sous leurs coups.
Eh quoi ! charger ainsi cette pauvre bourrique !
N'ont-ils point de pitié de leur vieux domestique ?
Sans doute qu'à la foire ils vont vendre sa peau.
- Parbleu ! dit le meunier, est bien fou du cerveau
Qui prétend contenter tout le monde et son père.
Essayons toutefois si par quelque manière
Nous en viendrons à bout. » Ils descendent tous deux.
L'âne se prélassant marche seul devant eux.
Un quidam les rencontre, et dit:« Est-ce la mode
Que baudet aille à l'aise; et meunier s'incommode ?
Qui de l'âne ou du maître est fait pour se lasser ?
Je conseille à ces gens de le faire enchâsser
Ils usent leurs souliers et conservent leur âne !
Nicolas, au rebours : car quand il va voir Jeanne,
Il monte sur sa bête; et la chanson le dit.
Beau trio de baudets ! » Le meunier repartit :
« Je suis âne, il est vrai, j'en conviens, je l'avoue ;
Mais que dorénavant on me blâme, on me loue,
Qu'on dise quelque chose ou qu'on ne dise rien,
J'en veux faire à ma tête ». Il le fit, et fit bien.

Jean de la Fontaine

jeudi 9 août 2012

The future of our societies

The world is changing, and it's hard to tell in which direction it evolves. Far from the ancient descriptions of potential ideal societies toward which it could incline, it seems, for unclear reasons, that most of the foretellers' trends are characterized by pessimistic notes. Indeed, what does our best predictor, art, have to say? Various fictitious devastated states of the world have been depicted as direct consequences of human activities. Planet of the Apes shows a return to primary civilizations after a nuclear warfare. Other uncareful and destructive behaviors may lead to climatic disasters according to The Day after Tomorrow and desolating droughts (combined with famine because of ressource consumption) according to Soylent Green. More humorously, intellectual decadence has been addresed in Idiocracy.

A few futuristic movies have envisioned societies where feelings are suppressed and with a high culture for performance. They share a common idea: escaping from a utopian but dehumanized world to conquer freedom. In Gattaca, a transhumanist society, a member of the underclass of humans, the kind employed to do menial jobs,[1] tries to infiltrate the elite to fulfill his dream : travelling to the stars. In Equilibrium rulers use a drug, Prozium, to annihilate feelings, which are illegal. The Island presents a world where people are raised to work until one day where they are elected to go to "the Island", a paradise. In his review of the movie, the most famous film critic, Roger Ebert, notes that (spoiler warning) it was a little eerie, watching "The Island" only a month after reading Kazuo Ishiguro's new novel Never Let Me Go. Both deal with the same subject: raising human clones as a source for replacement parts. The creepy thing about the Ishiguro novel is that the characters understand and even accept their roles as "donors," while only gradually coming to understand their genetic origins. They aren't locked up but are free to move around; some of them drive cars. Why do they agree to the bargain society has made for them? The answer to that question, I think, suggests Ishiguro's message: The real world raises many of its citizens as spare parts; they are used as migratory workers, minimum-wage retail slaves, even suicide bombers.

In the past, some authors have been quite successful at describing the future on Earth. A classical example concerns the duo formed by George Orwell's 1984 and Aldous Huxley's Brave New World. In the foreword of his book Amusing ourselves to death, the media theorist Neil Postman[2] holds that what Orwell feared were those who would ban books. What Huxley feared was that there would be no reason to ban a book, for there would be no one who wanted to read one. Orwell feared those who would deprive us information. Huxley feared those who would give us so much that we would be reduced to passivity and egoism. Orwell feared that the truth would be concealed from us. Huxley feared the truth would be drowned in a sea of irrelevance. Orwell feared we would become a captive culture. Huxley feared we would become a trivial culture, preoccupied with some equivalent of the feelies, the orgy porgy, and the centrifugal bumblepuppy. These remarks are illustrated here and in a different manner there; they show how Orwell's and Huxley's visions match, in some measure, our contemporary world. And everyone of us can do something about it.

Notes

[1] Such inequalities are also depicted in In Time, by the same director, where money is replaced by a lifetime counter, literally revealing that today, not only time is money, but also money is time.

[2] Neil Postman has also insightful views on education and the disappearance of childhood. As he puts, children are the living messages we send to a time we will not see.

jeudi 21 juin 2012

Plagiarism

What’s “plagiarism”? It’s when you take someone else’s work and claim it’s your own. It’s basically STEALING.

Ideas improve. The meaning of words participates in the improvement. Plagiarism is necessary. Progress implies it. It embraces an author’s phrase, makes use of his expressions, erases a false idea, and replaces it with the right idea.

Perhaps the Russians have done the right thing, after all, in abolishing copyright. It is well known that conscious and unconscious appropriation, borrowing, adapting, plagiarizing, and plain stealing are variously, and always have been, part and parcel of the process of artistic creation. The attempt to make sense out of copyright reaches its limit in folk song. For here is the illustration par excellence of the law of Plagiarism. The folk song is, by definition and, as far as we can tell, by reality, entirely a product of plagiarism.

If you copy from one author, it’s plagiarism. If you copy from two, it’s research.

lundi 14 mai 2012

Multiplication des quotients

Une bonne nouvelle dans le petit monde des ressources humaines : on commence à comprendre que le quotient intellectuel n'est pas une bonne mesure d'intelligence[1]. Ainsi se multiplient les métriques censées évaluer les aptitudes d'un individu (comme au football).

  • le quotient intellectuel (intellectual quotient IQ), est en quelque sorte une mesure d'aptitude à la reconnaissance de motifs, comme les tests de Bongard.
  • le quotient émotionnel (emotional quotient EQ) est lié aux émotions ressenties, personnelles et d'autrui. On parle par exemple de «la capacité émotionnelle d'une cuiller à café».
  • le quotient moral (moral quotient MQ) est une sorte de mesure éthique individuelle, ayant trait à l'intégrité, la probité, et la capacité à pardonner.
  • le quotient corporel (body quotient BQ) calcule le rapport avec le corps. Car le rapport au matériel n'est peut-être qu'une métaphore de considérations plus profondes.
  • le quotient culturel (cultural quotient CQ) évalue la culture générale, ce qui reste quand on a tout oublié.

Se contruisent aussi bien sûr des quotients un peu New Age comme le quotient de curiosité, le quotient passionnel, ou le quotient spirituel.

Après, il convient de distinguer les atouts qui font un bon employé de ceux qui facilitent le succès dans la vie. La différence est considérable.

Notes

[1] Par contre, le quotient intellectuel est une bonne mesure de la capacité à réussir aux tests de quotient intellectuel.

jeudi 2 février 2012

Bo

Résumé des épisodes précédents : alors que les Hébreux sont prisonniers des Égyptiens, Moïse demande à Pharaon de laisser partir son peuple, mais celui-ci refuse. Alors l'Éternel (Dieu) abat sur l'Égypte dix plaies, sous la forme de calamités plus ou moins surnaturelles. Dans Bo, on assiste aux trois dernières plaies : les sauterelles, les ténèbres, et la mort des premiers-nés égyptiens. Pharaon se résout alors à accepter que les Hébreux quittent l'Égypte, ce qu'ils ne manquent pas de faire.

Une question naturellement soulevée par cette histoire est : pourquoi Dieu a-t-il tué les premiers-nés égyptiens ? Certes, ce n'est pas la première fois que Dieu tue des êtres humains. Déjà avec Son Déluge, Dieu avait éradiqué toute la population à l'exception de Noé et sa famille[1], mais bon, c'est un peu normal, les gens à l'époque étaient iniques. Et puis, il y a eu la destruction de Sodome et Gomorrhe, mais là aussi, même sans avoir vu le film de Pasolini, il est notoire que leurs habitants menaient des vies de débauche, ce qui est Mal. Mais là, les premiers-nés égyptiens, cela inclut des enfants et des bébés, qui ne sont en rien responsables de ce qui arrive aux Hébreux. Comment justifier la mort de ces innocents ?

La réponse la plus immédiate à cette interrogation est que tout ce que fait Dieu est bien, même si on ne comprend pas, et il n'y a rien à justifier. C'est l'explication dite «les voies du Seigneur sont impénétrables». Cela dit, on peut voir les choses autrement, et dès lors, distinguer au moins trois raisons possibles à cet acte.

Il est facile de considérer que seul Pharaon est responsable de la situation des Hébreux, et que le peuple égyptien n'y est pour rien. Mais c'est bien la population tout entière[2] qui tenait les Hébreux en esclavage et leur imposait de lourdes tâches (Ex 1:13). Chaque famille égyptienne, chaque individu y prenait part. La soumission à l'autorité ne peut servir d'argument pour justifier ces comportements, qui seront d'ailleurs souvent reproduits au cours de la seconde guerre mondiale.

La complicité active du peuple égyptien était la clef de voûte de l'esclavage des Hébreux. La mort des premiers-nés, représentants des foyers égyptiens, vient ainsi mettre en exergue la responsabilité individuelle de chacun.

Une deuxième explication peut être distinguée en appliquant ce qu'on appelle la «règle des cinq pourquoi». L'idée est très simple : quand vous faites quelque chose dans la vie, demandez-vous cinq fois de suite «pourquoi», et si à la fin vous n'avez pas une bonne raison alors peut-être vaut-il mieux passer à quelque chose d'autre. Ici, on a la dixième plaie, avec la mort des premiers-nés (Ex 12:29). Pourquoi ? Parce que Pharaon refuse de laisser partir les Hébreux (Ex 11:10). Pourquoi ? Parce Dieu lui-même a endurci le coeur de Pharaon (Ex 11:10). Pourquoi ? Là, il faut remonter un peu plus loin, à ''Exode' ; il apparaît que la mort des premiers-nés égyptiens avait été annoncée bien avant la première plaie (Ex 4:23). Les neuf premières plaies, assorties de l'endurcissement progressif du coeur de Pharaon, constituent autant d'étapes menant à l'ultime châtiment, la mort des premiers-nés, qui avait été en fait planifiée dès le départ. Et pourquoi ? Parce que Dieu considère le peuple hébreu comme son premier-né, et qu'en le vouant à l'esclavage, Pharaon le tue[3] (Ex 4:22-23). Dès lors, c'est oeil pour oeil, dent pour dent : Dieu tuera les premiers-nés égyptiens, qui représentent au même titre le premier-né de Pharaon.

La loi de l'attraction est une croyance selon laquelle l'univers se comporte avec toi comme tu te comportes avec lui. Évidemment très populaire chez les partisans des grandes théories holistes[4], la loi de l'attraction n'est qu'une résurgence d'un principe bien connu de la pensée juive : «mesure pour mesure» («מידה כנגד מידה»), dont la mort des premiers-nés égyptiens peut constituer une illustration.

Enfin, une troisième explication est apportée par Ari Kahn. Elle nécessite une vision plus globale de la situation. En Égypte, la société était basée sur la primogéniture, c'est-à-dire que les premiers-nés héritaient de l'intégralité du patrimoine de leurs parents. La transmission du pouvoir se déroulait selon le même principe : Pharaon était lui-même un premier-né, fils d'un premier-né, etc.[5]. Dès lors, les autres n'avaient rien ; voilà pourquoi il était important que les Égyptiens aient des esclaves, afin de donner aux classes inférieures une caste à dominer. Laisser partir les Hébreux, base de la pyramide du pouvoir, et c'était toute la société qui s'effondrait.

Dans le judaïsme, la naissance ne détermine pas la position. Il y a une notion de droit d'aînesse, mais comme l'illustrent les aventures d'Ésaü et Jacob, les actes de Jacob et sa dévotion envers Dieu l'ont mené à être reconnu comme le véritable aîné. En fait, tout le livre de la Genèse peut être vu comme un réquisitoire contre un éventuel statut privilégié des premiers-nés. Comme le remarque le Midrash Rabba, ni Abraham, ni Isaac, ni Jacob n'étaient des premiers-nés ; ce sont ses actions, et non son statut, qui font un homme.

La dixième plaie était donc une attaque foudroyante contre toute la structure hiérarchique de la civilisation égyptienne, fondée sur le privilège de la naissance. Cette opération à la fois massive et chirurgicale ne pouvait donc qu'aboutir à la délivrance des Hébreux.

En résumé, les trois explications éventuelles avancées sont : la complicité active du peuple, l'application du principe de mesure pour mesure, et l'attaque idéologique contre le privilège de la naissance.

La sortie d'Égypte est commémorée chaque année à l'occasion de la fête de Pâques. C'est bien sûr une immense joie. Mais personne ne se réjouit des souffrances et de la mort des Égyptiens. En effet, à l'une des quatre coupes de vin, symbole de joie, qui sont traditionnellement bues lors de la cérémonie du séder, sont retirées dix gouttes représentant les dix plaies. La violence des dix plaies vient en quelque sorte atténuer la joie de la libération. Or pour l'époque messianique à venir, la joie, infinie, ne sera pas diluée. Cela signifie peut-être que le troisième temple ne peut pas être bâti sur la violence, et qu'Israël aura à passer par une période de paix avant la délivrance finale.

Notes

[1] Richard Dawkins parle de Dieu génocidaire dans The God Delusion.

[2] Ceux qui auraient écrit «la population toute entière» sont invités au jeu des 7 erreurs.

[3] Il est facile d'objecter que répondre à la mort spirituelle d'un peuple via l'esclavage par la mort bien matérielle des premiers-nés égyptiens paraît injuste. Mais Pharaon faisait aussi tuer les mâles hébreux à la naissance (Ex 1:8).

[4] Parmi les partisans des grandes théories holistes, on compte bien sûr nos amis New Age adeptes des quatre accords toltèques et de la loi des 10%.

[5] On peut se demander pourquoi Pharaon, lui-même premier-né, n'est pas mort la nuit de la dixième plaie. La question est laissée en exercice.

jeudi 12 janvier 2012

Les quatre accords toltèques

Après le voyage hindou, une question se pose : qu'en est-il du côté des toltèques ?

Les quatre accords toltèques est un livre de Miguel Ángel Ruiz, très apprécié chez les adeptes du New Age (ceux-là mêmes qui affirment que nous n'utilisons que 10% de notre cerveau).

Le livre est une sorte de manifeste présentant l'essence de l'éthique toltèque, qui peut se résumer en quatre règles, ou "accords"[1] :

  1. Sois impeccable dans ta parole - Parle avec intégrité, ne dis que ce que tu penses vraiment. N'utilise pas la parole contre toi-même, ni pour médire d'autrui.
  2. Ne prends rien personnellement - Tu n'es pas la cause des actes d'autrui, ce que les autres disent et font n'est qu'une projection de leur propre réalité, de leur rêve.
  3. Ne présuppose pas - Aie le courage de poser des questions et d'exprimer tes vrais désirs. Communique clairement avec les autres pour éviter tristesse, malentendus et drames.
  4. Fais toujours de ton mieux - Quelles que soient les circonstances, fais simplement de ton mieux et tu éviteras les regrets.

Notes

[1] En opposition avec la simplicité des accords toltèques, le judaïsme comporte 613 commandements, dont certains sont très compliqués.

mardi 29 novembre 2011

Désir & violence : René Girard

La revue Philosophie Magazine a publié ce mois-ci un numéro hors-série consacré à René Girard, le penseur du désir et de la violence. L'occasion de rappeler l'essence de la pensée girardienne.

À la base, l'idée[1] de désir triangulaire : nos désirs prennent source dans le désirs des autres, qui jouent le rôle de tiers médiateurs. Sujet, médiateur, et objet forment ainsi les sommets du triangle du désir, qui est donc désir par mimétisme, ou désir mimétique, avec deux idées sous-jacentes :

  1. Au fond, peu importe qui a initié le mouvement ; le sujet et l'intermédiaire, qui désirent tous les deux le même objet, sont interchangeables, il y a effet de convergence.
  2. L'objet du désir n'a lui-même finalement non plus pas d'importance, et seuls vont compter les moyens d'y accéder : le médiateur devient rival.

De la convergence des désirs peut ainsi naître le conflit. La violence éclôt alors de cette confrontation des désirs ; et de plus, tout comme le désir, la violence est mimétique, c'est-à-dire contagieuse. Au delà d'une certaine masse critique de violence, émerge une cible commune (la victime innocente, qui passait "au mauvais endroit au mauvais moment"), dont la destruction ramène à la paix ; la victime est systématiquement mise à mort à travers une ritualisation de son sacrifice. C'est le deuxième point clef chez René Girard : la création du bouc émissaire, mécanisme sociétal salvateur pour éviter l'explosion générale de la violence.

De là se construit un mythe : la victime était la source du mal, mais comme c'est sa destruction qui mène systématiquement à la paix, la victime est aussi source du bien en résultant. En conséquence la société lui attribue des dons divins, en tant que source du bien et du mal. C'est ainsi que dans une troisième étape, la divulgation de l'innocence du bouc émissaire (où Girard voit l'avènement du christianisme) conduit à une "crise mimétique" qui régénère la violence, jusqu'à l'apocalypse.

C'est dans cette esprit triptyque qu'est présenté le hors-série 12H de philosophie magazine : le désir et le mimétisme, le bouc émissaire, la révélation, avec ses multiples illustrations dans la vie réelle : la littérature, la mode, la guerre, l'amour, la famille, la politique, la publicité, les réseaux sociaux, l'école, etc. Tout ça pour le prix d'une pinte à la Guinness Tavern de Châtelet.

Notes

[1] Sven Ortoli, co-auteur du cantique des quantique et auteur de l'éditorial de la revue, parle à ce sujet d'idée de taille mythologique.

jeudi 3 novembre 2011

Une histoire hindoue

Une ancienne légende hindoue raconte qu'il fut un temps où tous les hommes étaient des dieux.

Comme ils abusèrent de ce pouvoir, Brahma, le maître des dieux, décida de le leur retirer et de le cacher dans un endroit où il leur serait impossible de le retrouver.

Oui, mais où ?
Brahma convoqua en conseil les dieux mineurs pour résoudre ce problème.

— Enterrons la divinité de l'homme, proposèrent-ils.

Mais Brahma répondit :
— Cela ne suffit pas, car l'homme creusera et trouvera.

Les dieux répliquèrent :
— Dans ce cas, cachons-la tout au fond des océans.

Mais Brahma répondit :
— Non, car tôt ou tard l'homme explorera les profondeurs de l'océan. Il finira par la trouver et la remontera à la surface.

Alors, les dieux dirent :
— Nous ne savons pas où la cacher, car il ne semble pas exister sur terre ou sous la mer d'endroit que l'homme ne puisse atteindre un jour.

Mais Brahma répondit :
— Voici ce que nous ferons de la divinité de l'homme : nous la cacherons au plus profond de lui-même, car c'est le seul endroit où il ne pensera jamais à chercher.

lundi 19 septembre 2011

Pétanque, Chariots, et Mandarins

Les scientifiques aiment bien faire des expériences, non seulement parce qu'elles leur permettent de tester leurs théories, mais aussi parce que c'est souvent très amusant. Alors que certaines démonstrations ou certains tests font appel à des appareillages extrêmement sophistiqués, il existe une catégorie d'expériences ne nécessitant aucun matériel : les expériences de pensée, ou Gedankenexperimente pour les intimes.

Un exemple d'expérience de pensée (qu'on qualifierait d'heuristique dans la classification de Popper) qui marche bien avec des élèves est la suivante. Le contexte est la question : on lance un objet de 1 kilo et un objet de 2 kilos du haut de la Tour Eiffel, lequel va arriver en premier au sol ? Pour illustrer que ce n'est pas nécessairement celui de 2 kilos (ce que répondent souvent les élèves), on imagine la situation illustrée ci-dessous : 3 boules de pétanque identiques pesant un kilo sont jetées de la tour Eiffel, elles arrivent en même temps au sol. Alors on rapproche progressivement les deux dernières jusqu'à ce qu'elles forment pour ainsi dire un unique objet de deux kilos. Et donc il est assez direct d'imaginer que les deux objets (1kg et 2kg) atterrissent en même temps, contrairement à l'intuition initiale. En mécanique quantique il existe de célèbres Gedankenexperimente comme le chat de Schrödinger ou le paradoxe EPR.

Boules de pétanques

Les philosophes ont aussi leurs expériences de pensée (d'aucuns diront qu'ils n'ont que ça, mais nous allons laisser ce genre de calomnies à leurs détracteurs), et certaines interrogations issues de la philosophie de l'éthique s'avèrent précieuses lors des soirées de l'ambassadeur.

Ainsi le problème du chariot, introduit par les philosophes Philippa Foot et Judith Jarvis Thomson, est le suivant.

  • Un chariot lancé à pleine course va écraser cinq personnes ligotées sur les rails par un fou. Mais vous pouvez les sauver en aiguillant le chariot sur une autre voie grâce à un interrupteur. Mais il y a une personne ligotée sur l'autre voie. Allez-vous basculer l'interrupteur ?

Selon la philosophie utilitariste (chercher le bonheur du plus grand nombre), il est permis, et même moral, de basculer l'interrupteur. Mais pour ses opposants, ici le fait d'agir nous implique dans la situation et nous rend responsable de la mort de la personne, tandis que l'inaction nous exonère et laisse le fou comme seul responsable. De plus, la vie d'une personne étant incommensurable, la comparaison entre une et cinq potentiels morts n'est pas viable.

Le problème suivant, dit "de l'obèse", s'adresse surtout à celles et ceux qui choisissent de basculer l'interrupteur :

  • Un chariot lancé à pleine course va écraser cinq personnes ligotées sur les rails par un fou. Vous assistez à la scène du haut d'un pont, impuissant. Mais une personne obèse est également présente sur le pont, et vous vous rendez compte qu'il serait facile de pousser la personne obèse du haut du pont afin qu'elle tombe sur la voie, bloquant le chariot dans sa course, sauvant les cinq personnes. Allez-vous pousser la personne obèse ?

La majorité des gens choisit de basculer l'interrupteur et de ne pas pousser l'obèse, ce qui est paradoxal pour les philosophes : pourquoi serait-il moralement acceptable de sauver cinq personnes en en tuant une dans le cas du chariot mais pas dans le cas de l'obèse ?

Il existe une version interactive de ces expériences sur le site fort justement intitulé Philosophy Experiments (réponses personnelles : NNNN YNYY). Il y a d'autres expériences intéressantes sur le site, notamment une conversation avec Dieu, un débat sur l'avortement, et des scénarios de situations critiques.

Les plus courageux pourront aussi lire cette parodie.

Une version bien plus simple du problème du chariot est celle-ci :

  • Un chariot lancé à pleine course va écraser une personne ligotée sur les rails par un fou. Mais vous pouvez la sauver en aiguillant le chariot sur une autre voie grâce à un interrupteur. L'autre voie est libre. Allez-vous basculer l'interrupteur ?

En France, la non-assistance à personne en danger est punie par la loi selon l'article art. 223-6 du code pénal :

Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.

Aux États-Unis un tel délit n'existe pas, la notion de fraternité imposée étant moins présente dans les lois.

Finalement on quitte les chariots pour la Chine, où se déroule une parti de ce scénario, attribué à Jean-Jacques Rousseau.

  • Un obscur mandarin habite Pékin. Vous disposez d'un petit bouton qui vous permet de le tuer à distance sans que personne ne puisse jamais rien savoir. S'il meurt, vous héritez de son immense fortune, en toute impunité. Allez-vous appuyer sur le bouton ?

En accompagnement, cet aphorisme, sur lequel on aura l'occasion de revenir.

Chacun, à toute minute, tue le mandarin ; et la société est une merveilleuse machine qui permet aux bonnes gens d'être cruels sans le savoir.

Alain, Propos sur le bonheur (1910)