Au cours de sa mini-guerre commerciale contre Google, l'opérateur de téléphonie Free a décidé de filtrer certaines publicités sur le réseau de ses abonnés[1], ce qui va à l'encontre du principe de neutralité du réseau internet. C'est donc le bon moment de rappeler la présentation de Benjamin Bayart sur le sujet lors de l'exposition "le libre en fête" 2011 organisée par Swisslinux (un réunion de geeks, comme makeopendata). Étaient également présents de jolis robots, comme Nao, dont était vanté le très bon WAF (Wife Acceptance Factor).

Nao

Résumé : Benjamin Bayart, expert en télécommunications, président de French Data Network et militant, s'est fait connaître dès 2007, notamment par ses prises de position contre le contrôle d'internet et la loi HADOPI. Sa conférence sur la neutralité[2] du net lui permettra d'insister sur les discriminations qui peuvent exister à diverses étapes de la transmission de l'information à travers Internet, et de proposer des solutions concrètes pour garantir cette neutralité.

Muni de diapositives avec des titres bizarres (du style « Factulés » ou « Les atteintes des chandelles »), Benjamin Bayart a rappelé qu'Internet n'était pas un réseau d'ordinateurs mais un réseau de réseaux, très simple[3], servant de support de diffusion. Coupé en deux, les deux parties survivraient, et en cela Internet est plus proche du corail que d'un humain. Il existe plus de 40 000 opérateurs qui gèrent les adresses en respectant les allocations de l'IANA. Et de même que quand on a inventé la vente par correspondance, on n'a pas changé le service postal, quand on a inventé le web, on n'a pas changé Internet. L'intelligence n'est pas dans le réseau, mais elle est périphérique, le réseau n'est qu'un ectoplasme qui transporte sans se poser de questions, de façon « neutre ».

Sur un plan plus social, Benjamin Bayart a mis en avant la « croissance de l'internaute », qui passe progressivement du statut d'acheteur, de kikoolol, de lecteur et de râleur à celui de commentateur, puis d'auteur, voire d'animateur au sein de réseaux d'auteurs. Internet forme donc des générations de citoyens qui développent leur esprit critique et apprennent à débattre de n'importe quel sujet (il y a peut-être une pointe d'exagération dans ces considérations). Mais en résumé, la communication change la société, et Internet change la communication, donc par transitivité Internet change la société. En suivant une approche un peu évolutionniste, de même qu'il y avait une société préhistorique avant l'écriture, il y a eu une société pré-réseau avant Internet. Et toucher la structure du réseau, c'est toucher la structure sociétale (on peut penser que les hommes préhistoriques n'avaient pas développé un intérêt avancé pour la liberté de la presse par exemple).

Qui a donc des raisons de s'en prendre à la neutralité du réseau ?

D'une part certains opérateurs, qui pour des raisons économiques ou commerciales ont recours à des méthodes de priorisation (« web à deux vitesses »), de filtrage, et d'altération des données[4].

D'autre part certains dirigeants politiques, tenants de l'ordre contre le désordre, contre leur propre peuple, par la censure et le contrôle. L'initiative OpenNet classe ainsi les différents types de censure dans les pays du monde selon leur amplitude, qu'on peut voir comme un indicateur de démocratie. Avec ses listes noires et ses lois sur le copyright la France se situe d'ailleurs dans la catégorie Internet sous surveillance.

Au final, Internet c'est un peu ce qu'on en fait. Il est évident qu'il y a des dérives, mais il est difficile de demander à un fabriquant d'acier que celui-ci serve à faire un couteau qui coupe le pain et pas un couteau pour tuer des gens. Les attaques contre la neutralité du net sont des attaques contre l'économie d'abondance qui y prévaut, mais heureusement, les mentalités évoluent.

Notes

[1] Cela signifie par ailleurs que les fournisseurs d'accès à Internet ont la possibilité technique de filtrer certaines données, ce qu'on pourrait appeler l'école chinoise.

[2] La neutralité est l'essence de la politique extérieure suisse, comme le montre la deuxième partie de cet extrait du Daily Show, consacré à l'interdiction de construire des Minarets.

[3] La complexité est parfois une question d'approche. Ainsi la NASA a mis des années à développer un stylo à bille qui puisse fonctionner en apesanteur pour les missions extra-terrestres, tandis que l'agence spatiale russe donnait à ses cosmonautes des crayons à papier.

[4] Pour s'adonner à l'altération de données sur son propre réseau, voir par exemple Newstweek ou le magnifique Upside-Down-Ternet.