La forêt

L'autre jour, j'étais dans une forêt pour cueillir des champignons. J'avais trouvé un bon coin à cèpes, et je commençais à les goûter pour vérifier qu'ils étaient bien frais (on dit « un cèpe » et pas « une cèpe »), quand soudain je croise le garde-forestier. Je lui dis « Qu'est-ce qu'il y a à voir dans cette forêt ? ». Il me dit « Dans la forêt ? Le hêtre. » Je lui dis « Le hêtre est à voir ? » Il me dit « Oui, surtout en été. » Je lui dis « Qu'est-ce qu'il aura ce hêtre en été ? » Il me répond « Il aura une certaine aura. » Je lui demande « Et où peut-on le trouver ce hêtre ? » Il me répond « La meilleure vue, vous l'aurez à l'orée. » « À l'orée ? » « À l'orée du bois. » Je prends ma voiture, et je vais de ce pas à l'orée du bois. Je descends, et là je le vois ce hêtre, majestueux, resplendissant.

À ce moment, je vois arriver le garde-forestier, et je constate qu'il fixait avec attention le réservoir de la voiture. Je lui dis « Mais qu'est-ce que vous faites dans le bois ? » Il me répond « Je bois ». Je lui demande « Pourquoi ? ». Il me répond « Pour me libérer ». Je lui dis « Du hêtre ? ». Il me dit « Non, des chênes. » Je lui dis « C'est du boulot ! » Je vois qu'il continuait à fixer la voiture. Je lui demande « Et vous buvez directement au réservoir ? » Il me dit « Non, la forêt, ça m'a donné l'occasion de me mettre au verre. » Je lui dis « Ça tombe bien, j'ai fait le plein d'essence. Mais tout de même, boire au travail, quelle indécence ! » Il me dit « Un des sens, oui, celui du goût. » Je lui demande « Et chez vous aussi, c'est comme dans le bois ? » Il répond « Oui, chez moi, comme dans le bois, je bois. Le hêtre me manque. » Je lui demande « Et tout est dépeuplé ? » Il me dit, « Oui, le hêtre passe avant la boisson. » Je lui demande « Comment ça ? » Il me dit « L'existence précède l'essence. » Je regarde la voiture, et quand je me retourne, le garde-forestier avait disparu ! Je regarde le hêtre, plus de hêtre ! Le néant. Je regarde les champignons, et ils me font un grand sourire.

Comme disent les jeunes d'aujourd'hui : c'est hallucinant !

Bonus : les voeux de Raymond Devos pour 1982 (il y a 33 ans...).