La légende raconte qu'à un congrès de physique un quidam interpella le mathématicien Henri Poincaré en ces termes :

"Mais enfin Monsieur Poincaré, vos mathématiques, là, à quoi servent-elles ?"

Question à laquelle le mathématicien avait répondu par :

"Et vous, Monsieur, à quoi servez-vous ?"

un peu dans l'esprit de ce commentaire.

Alors, de même qu'on peut se demander à quoi sert l'humour, on peut également poser la question : à quoi servent les mathématiques ?

Après tout, qui a après le lycée réutilisé dans sa vie un compas ?

Comme le note Neal Koblitz dans son essai sur la relation compliquée entre mathématiques et cryptographie, le grand Hardy n'écrivait-il pas en 1940[1] :

« À la fois Gauss et de moindres mathématiciens peuvent se réjouir qu'il y ait une science [la théorie des nombres] qui de toutes façons, et selon eux, devrait rester éloignée des activités humaines ordinaires, et rester noble et propre. »

La cryptographie est par la suite venue remettre en question l'inutilité présupposée de la théorie des nombres.

Lors de la dernière Saint-Patrick (17 mars) avait lieu en Suisse une conférence sur le thème de l'utilité des mathématiques. Vaughan Jones (médaille Fields 1990) a parlé de noeuds, tresses, groupes, et kitesurf. Stanislav Smirnov (médaille Fields 2010) a parlé d'ordre, d'irrégularité, de fractales, et de percolation. Martin Hairer (médaille Fields 2014) a parlé des cours de la bourse et de Tétris. Pour ceux qui ont raté ça, la conférence est disponible en ligne.

Pour finir, il est intéressant de mentionner le TEDx talk de Eduardo Sáenz de Cabezón : Math is forever.

En conclusion, les maths sont moins inutiles que ce que l'on pourrait croire, et lorsqu'elles sont inutiles, elles sont belles.

Note

[1] C'est une citation souvent tronquée, et Hardy voulait plutôt dire le contraire, il écrivait en effet : But here I must deal with a misconception. It is sometimes suggested that pure mathematicians glory in the uselessness of their work, and make it a boast that it has no practical applications. The imputation is usually based on an incautious saying attributed to Gauss, to the effect that, if mathematics is the queen of the sciences, then the theory of numbers is, because of its supreme uselessness, the queen of mathematics—I have never been able to find an exact quotation. I am sure that Gauss’s saying (if indeed it be his) has been rather crudely misinterpreted. If the theory of numbers could be employed for any practical and obviously honourable purpose, if it could be turned directly to the furtherance of human happiness or the relief of human suffering, as physiology and even chemistry can, then surely neither Gauss nor any other mathematician would have been so foolish as to decry or regret such applications. But science works for evil as well as for good (and particularly, of course, in time of war); and both Gauss and less mathematicians may be justified in rejoicing that there is one science at any rate, and that their own, whose very remoteness from ordinary human activities should keep it gentle and clean. Godfrey H. Hardy, A Mathematician Apology (1940), p. 33.