La plupart des débats en économie ou en finance présentent certaines similarités structurelles : lorsqu'il s'agit de revenir sur des évènements passés, tout le monde peut expliquer pourquoi ils se sont déroulés de la sorte, mais lorsqu'il s'agit de faire des prédictions, les experts se déchirent et à la fin le modérateur les remercie pour leurs brillantes analyses.

Ainsi le Radjaïdjah Blog pourrait se muer en expert économique et faire des prédictions du style :

Avec l'annonce d'un futur referendum en Grèce et la mise en place d'un contrôle des capitaux et de limites journalières des montants des retraits, les citoyens prennent conscience des limites de la confiance qu'ils peuvent accorder aux banques et vont chercher à se tourner vers des horizons où ils ont davantage de contrôle sur leur argent. Nous pouvons dès lors prédire un intérêt accru pour le Bitcoin et l'élargissement à court terme du marché. L'arrivée de nouveaux utilisateurs sur le réseau et la croissance de l'adoption, donc de la demande, vont naturellement faire monter les cours, il est donc recommandé d'investir maintenant car le Bitcoin est actuellement sous-évalué.

Afin que chacun puisse lui aussi jouer à l'expert économique, voilà 5 adages pour illustrer diverses situations. Merci à Antoine Zaccaria, RMM Diffusion, G. H. , Mickaël Mangot, auteur de l'ouvrage Les Comportements en Bourse - 6 erreurs psychologiques qui coûtent cher, pour leur dossier sur le sujet dans le magazine Les Echos.

Mettons-nous en situation : votre ami Robert vient de perdre soudainement beaucoup d'argent en bourse ; la cause : le cours de l'action Eurowarp. Vous le consolez, mais pour que pareille mésaventure ne se reproduise pas, vous allez lui prouver que la situation était prévisible.

Scénario 1

Le cours d'Eurowarp montait depuis des semaines. Robert s'est décidé à investir. Et voilà même que quelque heures après l'ordre d'achat, la valeur subit une sévère correction !

Votre explication : Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel.

Extrait : Mis en lumière par les psychologues, le " biais de confirmation " est l'expression de ce travers très répandu. Plus généralement, il indique que le décideur est souvent tenté d'aller dans le sens de sa première impression, et pour cela effectue un traitement orienté des informations qu'il reçoit en surpondérant celles qui la confirment et en minorant les autres.

Cet adage permet aussi d'expliquer des baisses de prix par des fluctuations temporaires : dépression à court terme, tendance haussière à moyen terme comme illustré lors de ce cette analyse de l'évolution des prix agricoles.

Scénario 2

Suite à une rumeur, la panique s'empare du marché et l'action Eurowarp perd la moitié de sa valeur en quelques heures. Robert décide alors de suivre ses compagnons d'infortune et de vendre à perte pour ne pas se retrouver totalement dévasté. Seulement la rumeur se révèle fausse et quelques semaines plus tard le cours est au-dessus du niveau initial...

Votre explication : Acheter au son du canon, vendre au son du violon.

Extrait : Les marchés, loin d'être efficients, souffrent en effet d'un mal chronique qui peut les faire diverger sensiblement de la juste valorisation : la surréaction. Précisément, les marchés surréagissent à la hausse quand l'actualité est favorable et surréagissent à la baisse quand elle est mauvaise. A la base de ces mouvements exagérés se trouvent d'une part le biais de confirmation ..., et d'autre part des comportements de groupes dits moutonniers.

Version Warren Buffett : En matière d'investissements, le pessimisme est votre ami, l'euphorie est l'ennemi (In investing, pessimism is your friend, euphoria is the enemy). Warren Buffet est un spécialiste des petites phrases sur le thème de la finance, une de ses plus célèbres étant : C'est quand la mer se retire qu'on voit ceux qui se baignaient nus (Only when the tide goes out do you discover who's been swimming naked, concernant la bulle financière de 2008 autour des subprimes). Il est parfois plus philosophique : Les riches investissent dans le temps, les pauvres dans l'argent (The rich invest in time, the poor invest in money). Voici une compilation assez complète de ses bons mots.

L'effet moutonnier est à la base de la stratégie de pump & dump décrit dans le film Boiler Room, ou des prophéties auto-réalisatrices apparaissant dans le film Krach (cf l'article 5 films sur l'argent).

Scénario 3

L'action Eurowarp étant inhabituellement à la baisse depuis quelques jours, Robert a bien vu l'aubaine que cela représentait, et emprunte pour investir un maximum. Il se réjouit de ne pas avoir acheté au prix fort à la différence des naïfs des jours précédents. Seulement, même après son investissement, le titre continue à chuter !

Votre explication : On n'attrape pas un couteau qui tombe.

Extrait : Il semble alors évident qu'il faut faire vite avant que le titre ne revienne à un cours normal, si bien que les réflexions sur les causes de la chute sont remises à plus tard. Comment expliquer que, dans ces moments-là, l'on soit persuadé d'avoir raison et que le marché a tort ? A la base de tels comportements, il y a la propension de tout un chacun à surestimer ses capacités.

Moralité, quand un titre baisse, il est risqué de l'acheter. Analyse de l'ISEG Finance School Bordeaux.

Scenario 4

Robert étant déficitaire sur son investissement dans Eurowarp, il ne peut se résoudre à prendre ses pertes ; après tout la chute ne va pas durer éternellement. Mais voilà, la descente s'accentue, Eurowarp passant en dessous de 10% de sa valeur initiale... Incapable de rembourser son emprunt, Robert est ruiné !

Votre explication : Mieux vaut se couper la main que le bras.

Extrait : Quel investisseur n'a jamais eu dans son portefeuille des titres auxquels il ne croyait plus, des titres qu'il n'aurait achetés sous aucun prétexte en raison de leur potentiel nul, voire négatif, ou parce que le risque associé était trop important ? Présentée de la sorte, l'affaire semble ubuesque : rien ne paraît plus simple que de vendre de tels " perdants " pour acheter d'autres titres, plus prometteurs. Et pourtant... S'il y a un tel écart entre le comportement théorique rationnel et les comportements observés, c'est que la recommandation n'est pas si facile à respecter. Le biais psychologique qui explique le mieux les décisions des investisseurs... et leurs erreurs est sans doute l'aversion au risque.

Le petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens de R.-V. Joule et J.L. Beauvois est instructif à ce sujet. Évoquant l'effet de gel étudié par Kurt Lewin dès 1947 justifié par l'adhérence aux décisions prises dans le passé (tentative de rationnalisation d'un comportement antérieur), les auteurs décrivent ensuite l'escalade d'engagement à l'aide de l'expérience dite de Brockner-Shaw-Rubin (1979, à l'époque le concept de stop-loss n'existait pas vraiment) :

Imaginons le jeu suivant : vous disposez d'une mise de 400 euros et l'occasion vous est offerte de gagner un jackpot de 200 euros. Comment ? En face de vous un compteur gradué avance au rythme d'un chiffre par seconde, partant de 1 et allant jusqu'à 500. Vous gagnez les 200 euros du jackpot si vous laissez tourner le compteur jusqu'à un chiffre X fixé à l'avance mais que, bien évidemment, vous ne connaissez pas. Vous savez, en revanche, que chaque unité vous coûte un euro, de sorte que si d'aventure le chiffre X est supérieur à 400, non seulement vous ne gagnez pas les 200 euros du jackpot, mais encore vous perdez les 400 euros dont vous disposiez au départ. Vous avez naturellement la possibilité d'arrêter le compteur quand vous le voulez, le solde vous restant acquis. Le principe du jeu est donc simple : vos chances de gagner le jackpot augmentent avec les pertes que vous acceptez de subir, étant entendu que ces dernières peuvent ne pas être suffisantes, quand bien même vous seriez prêt à engager la totalité de votre mise. Exercice : quelle est la meilleure stratégie ? Suite et fin.

Conclusion

Au final, que ce soit pour des explications a posteriori ou pour faire des prédictions, il y aura toujours un proverbe bucolique pour vous aider. Comme aurait pu énoncer Peter Sellers dans Being there : On ne fait pas un beau jardin en coupant les fleurs et en arrosant les mauvaises herbes.