Radjaïdjah Blog

lundi 26 février 2018

Pierre de Ronsard condamné par contumace

Ça y est, l'auteur des Sonnets pour Hélène (1578) a enfin été condamné pour harcèlement suite à son poème "Quand vous serez bien vieille".

#metoo #balancetonporc #carpediem #carpenoctem

Quand vous serez bien vieille (Pierre de Ronsard)


Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle.

Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre et fantôme sans os :
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.

Pierre de Ronsard (1578)

lundi 4 avril 2016

Stairway to tax heaven

Conséquence de l'incapacité à protéger ses données incluant des informations personnelles de ses clients, un cabinet d'avocats panaméen spécialisé dans la confection de sociétés-écrans va devoir subir les conséquences de la divulgation de plus de trente ans de communication interne, les Panama Papers. Ces révélations publiques font suite aux Offshore Leaks, aux Swiss Leaks et aux Luxembourg Leaks, autant penser qu'il n'est pas impossible qu'une certaine paranoïa se développe dans l'industrie de la discrétion.

C'est donc tout naturellement que le Consortium indépendant des journalistes d'investigation (ICIJ) propose un jeu dont le but est de dissimuler de l'argent dans un paradis fiscal, Stairway to tax heaven (également disponible en français sur le site du Monde).

vendredi 29 janvier 2016

Yitro, les 10 commandements

Résumé des épisodes précédents (previously on Shemot) : suite à la dixième plaie, la mort des premiers-nés égyptiens, Pharaon laisse les Hébreux quitter le pays. Après une traversée maritime sortant quelque peu de l'ordinaire et autres péripéties, ces derniers arrivent au pied du Mont Sinaï. Là, grâce à Yitro[1], beau-père de Moïse, dans une nuée d'effets synesthétiques de toute beauté, ils reçoivent les 10 commandements.

1 אָנֹכִי ה' אֱלֹקֶיךָ, אֲשֶׁר הוֹצֵאתִיךָ מֵאֶרֶץ מִצְרַיִם מִבֵּית עֲבָדִים

Je suis l'Éternel, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, d'une maison d'esclavage.

2 לֹא-יִהְיֶה לְךָ אֱלֹקִים אֲחֵרִים, עַל-פָּנָי

Tu n'auras pas d'autre dieu que moi.

3 לֹא תִשָּׂא אֶת-שֵׁם- ה' אֱלֹקֶיךָ, לַשָּׁוְא

Tu n'invoqueras pas le nom de l'Éternel ton Dieu à l'appui du mensonge.

4 זָכוֹר אֶת-יוֹם הַשַּׁבָּת, לְקַדְּשׁוֹ

Souviens-toi du jour du Chabbat pour le sanctifier.

5 כַּבֵּד אֶת-אָבִיךָ, וְאֶת-אִמֶּךָ

Honore ton père et ta mère.

6 לֹא תִרְצָח

Ne tue pas.

7 לֹא תִנְאָף

Ne commets pas d’adultère.

8 לֹא תִגְנֹב

Ne vole pas.

9 לֹא-תַעֲנֶה בְרֵעֲךָ עֵד שָׁקֶר

Ne rends pas de faux témoignage au sujet de ton prochain.

10 לֹא תַחְמֹד

Ne convoite pas.

Les 10 commandements

Les 10 commandements (ou plus précisément les 10 paroles), célébrés lors de la fête de Chavouot, constituent une pierre angulaire du judaïsme. Mais sont-ils utiles en pratique ? Une réponse intéressante est apportée par Rav David Fohrman, à l'aide d'une analyse s'appuyant sur la structure des 10 commandements.

Au-delà du contenu purement textuel des commandements, la structure que leur a conférée son auteur va éclairer leur sens sous un nouveau jour.

Pour en savoir plus, vous êtes invités à lire La Structure Cachée des Dix Commandements, traduction et adaptation française de très bonne qualité de Seeing the Superstructure of the Ten Commandments.

Ceux qui suivent le blog depuis ses débuts savent que LA référence sur les 10 commandements reste la présentation de George Carlin sur le sujet.

Note

[1] Parfois également orthographié Ytro, Ythro, Yithro, ou francisé en Jéthro.

mardi 25 août 2015

10 raisons de zapper Windows 10

Alors que c'est le 20e anniversaire de Windows 95, le temps des inquiétudes pour la vie privée dues à la présence d'un GUID (Globally Unique IDentifier) dans les documents produits par Microsoft Word est loin dernière nous.

La dernière version du système d'exploitation de Microsoft, Windows 10, est gratuitement téléchargeable sur le site de Microsoft pour les utilisateurs licenciés des versions récentes. L'entreprise a même sorti une série de 10 petites vidéos intitulée 10 raisons de passer à Windows 10 (10 reasons to upgrade to Windows 10). Ces raisons sont : Windows Store, Continuum, Music and More, Windows Hello, Security, It's Familiar, Cortana, Microsoft Edge, Xbox, Multi-doing.

Derrière ce strass et paillettes de fonctionnalités, la réalité est plus sombre, puisque Windows 10 atteint des sommets de non-respect de la vie privée. Voici 10 bonnes raisons de ne pas adopter Windows 10.

Windows 10

1. La déclaration de confidentialité est claire.

Voici un extrait de la déclaration de confidentialité (version américaine : ''privacy statement'', cf aussi cet article de Numerama) :

Les données que nous recueillons dépendent des services et des fonctionnalités que vous utilisez, et comprennent ce qui suit.

Nom et données de contact. Nous recueillons votre prénom et votre nom de famille, votre adresse email, votre adresse postale, votre numéro de téléphone, et d'autres données de contact similaires.

Identifiants. Nous recueillons les mots de passe, les indices de mot de passe, et des informations de sécurité similaires utilisées pour votre authentification et l'accès à votre compte.

Données démographiques. Nous recueillons des données vous concernant telles que votre âge, votre sexe, votre pays et votre langue préférée.

Centres d'intérêt et favoris. Nous recueillons des données sur vos centres d'intérêt et vos favoris, comme les équipes que vous suivez dans une appli de sport, les stocks que vous suivez dans une appli financière, ou vos villes préférées que vous ajoutez à une appli de météo. En plus de ceux que vous avez explicitement fournis, vos centres d'intérêt et vos favoris peuvent également être devinés ou dérivés d'autres données que nous recueillons.

Données de paiement. Nous recueillons les données nécessaires au traitement de votre paiement si vous faites des achats, comme le numéro de votre moyen de paiement (comme un numéro de carte de crédit), et le code de sécurité associé à votre moyen de paiement.

Données d'utilisation. Nous recueillons des données sur votre manière d'interagir avec nos services. Cela comprend des données telles que les fonctionnalités que vous utilisez, les articles que vous achetez, les pages web que vous consultez, et les termes de recherche que vous entrez. Cela comprend également des données concernant votre appareil, notamment l'adresse IP, les identifiants de l'appareil, les paramètres de région et de langue, et des données concernant le réseau, le système d'exploitation, le navigateur et d'autres logiciels que vous utilisez pour vous connecter aux services. Et cela comprend également des données concernant les performances des services et tout problème rencontré avec ces services.

Contacts et relations. Nous recueillons des données concernant vos contacts et vos relations si vous utilisez un service Microsoft pour gérer vos contacts, ou pour communiquer ou interagir avec d'autres personnes et organisations.

Données de localisation. Nous recueillons des données concernant votre localisation, qui peuvent être soit précises soit imprécises. Les données de localisation précises peuvent être des données du Système de positionnement global (GPS), ainsi que des données identifiant des antennes-relais à proximité et des bornes Wi-Fi, que nous recueillons lorsque vous activez les services et fonctionnalités basés sur la localisation. Les données de localisation imprécises comprennent, par exemple, une localisation dérivée de votre adresse IP ou des données qui indiquent avec moins de précision où vous vous trouvez, comme avec une ville ou un code postal.

Contenu. Nous recueillons le contenu de vos fichiers et de vos communications au besoin pour vous fournir les services que vous utilisez. Cela comprend : le contenu de vos documents, photos, musiques ou vidéos que vous téléchargez sur un service Microsoft tel que OneDrive. Cela comprend également le contenu des communications que vous envoyez ou recevez en utilisant les services Microsoft, comme :

* la ligne d'objet et le corps d'un email,
* le texte ou autre contenu d'un message instantané,
* l'enregistrement audio et vidéo d'un message vidéo, et
* l'enregistrement audio et la transcription d'un message vocal que vous recevez ou d'un message texte que vous dictez.

En outre, lorsque vous nous contactez, pour une assistance clients par exemple, les conversations téléphoniques ou les sessions de discussion avec nos représentants sont susceptibles d'être surveillées et enregistrées. Si vous entrez dans nos magasins, votre image peut être saisie par nos caméras de sécurité.

2. Par défaut, Windows 10 ne respecte pas la vie privée.

Par défaut (configuration définie lors d'une installation express), la configuration de Windows 10 donne un accès quasi-illimité à vos données à Microsoft.

Par exemple, la synchronisation des données (data syncing) envoie l'historique de navigation,les favoris, les sites ouverts, ainsi que les mots de passe des sites et des réseaux wi-fi, sur les serveurs de Microsoft.

Autre exemple, le logiciel gérant les réseaux sans fil, Wi-Fi Sense, demande par défaut à partager l'accès aux réseaux wi-fi connus avec tous les contacts. Cela dit, Microsoft a pensé à un moyen de protéger un réseau afin d'éviter cela : inclure la chaine "_optout" dans le SSID (ce qui se complique quand on apprend que la façon de ne pas être indexé par les voitures Google scannant les réseaux wi-fi est d'avoir un SSID finissant par la chaine "_nomap").

Il a été beaucoup reproché à Microsoft que ces fonctionnalités soient activées par défaut et non pas activables explicitement (par opt-in). La doctrine sous-jacente se résume ainsi : concernant la transmission de données personnelles, qui ne dit mot consent.

De nombreux sites ont explicité les nombreuses étapes à parcourir pour désactiver (opt-out) les différentes fonctionnalités affectant la vie privée. Cependant...

3. Même après configuration, Windows 10 ne respecte pas la vie privée.

Comme l'explique Swati Khandelwal en vertu d'une analyse de Ars Technica, l'assistante Cortana et le moteur de recherche Bing communiquent des informations privées à la maison-mère Microsoft même lorsqu'ils sont instruits de ne pas le faire.

4. Le consommateur devient le produit.

Windows 10 montre que Microsoft s'est mis à la politique de Google ou de Facebook : proposer des produits gratuits à l'utilisateur, en échange de leurs données personnelles.

Et comme le dit l'adage : si c'est gratuit, vous n'êtes pas le consommateur, mais le produit (voir aussi cette présentation).

5. C'est un logiciel propriétaire.

Windows 10 est un logiciel privateur, dans le sens qu'il ne permet pas d'exercer simultanément les quatre libertés logicielles que sont l'exécution du logiciel pour tout type d'utilisation, l'étude de son code source (et donc l'accès à ce code source), la distribution de copies, ainsi que la modification et donc l'amélioration du code source.

6. Il y a de meilleurs choix.

Les distributions Linux grand public comme Ubuntu ou Mint sont techniquement meilleures que Windows 10. Comme le relève Korben, une parodie de la série microsoftienne a été réalisée : 10 bonnes raisons de passer à Ubuntu 15.04.

7. Microsoft semble partenaire du gouvernement US.

Il y a 16 ans, la découverte d'une clef publique nommée _NSAKEY dans une version de Windows publiée par erreur avec des symboles de debugging ont alimenté bien des spéculations concernant une éventuelle possibilité pour la NSA de distribuer des patchs authentifiés (i.e. munis d'une signature électronique validée par le système Windows), même si Bruce Schneier n'y croyait pas à l'époque.

Cette découverte venait en écho des discours du secrétaire américain de la défense William Cohen qui déclarait début 1999 : Je suis persuadé que Microsoft comprend le lien crucial qui existe entre notre sécurité nationale et la prospérité de notre pays. (I believe that Microsoft does understand the crucial connection between our national security and our national prosperity). Mais bon, hors contexte, cette phrase ne veut pas dire grand chose.

8. Windows est vulnérable aux virus et autres malwares.

Avec diverses attaques en provenance des gouvernements américain (Regin, Stuxnet, Flame), chinois (GhostNet), russe (Red October, Turla (ciblant aussi Linux)), les utilisateurs de Windows sont des cibles privilégiées.

Ce n'est pas The Equation Group (NSA) qui dira le contraire. Utiliser un autre système d'exploitation permet d'atténuer ce type d'attaques.

9. C'est un outil d'espionnage industriel.

L'utilisation de Windows 10 au sein d'une entreprise risque de compromettre ses secrets industriels. Une société a donc intéret à réfléchir si le fait de bénéficier de la cosmétique de Windows 10 compense la divulgation à Microsoft de ses collaborateurs, accomplissements, projets, contrats, partenaires, échéances, négociations, etc.

10. Windows 10 peut compromettre un État.

En Russie, note Silicon Angle, des voix s'élèvent contre toute utilisation officielle de Windows 10 : le député Nikolai Levichev a ainsi écrit une lettre au premier ministre Dmitri Medvedev dans laquelle il souligne la possibilité pour Microsoft d'accéder aux mots de passe, contacts, emails, locations, et autres données des utilisateurs, avec un transfert potentiel des données traitées à des agences gouvernementales américaines, raison pour laquelle il souhaite bannir toute utilisation institutionnelle de Windows 10. Cet appel fait suite à une requête du député communiste Vadim Solovyov au procureur général, ainsi qu'à une plainte du cabinet d'avocat Bubnov & Associés auprès du même procureur, les deux demandes soulignant l'aspect illégal de l'accès aux données des citoyens russes par Microsoft.

Il est difficile de décrire exactement les conséquences de l'utilisation de Windows 10 par un État ou une administration telle que la France. L'utilisation au niveau gouvernemental de ce système d'exploitation octroierait à Microsoft l'accès à un stock gigantesque de données nationales, fiscales, et médicales.

Une bonne raison d'adopter Windows 10 : l'illégalité

S'il s'avère que Windows 10 contrevient à la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, alors vous pouvez porter plainte contre Microsoft et gagner un peu d'argent. Reste à voir comment les juristes interpreteront l'acceptation de la déclaration de confidentialité.

Conclusion

Si vous n'avez rien à faire de votre vie privée ni de celle de vos amis, passez à Windows 10, sinon, ne le faites pas.

vendredi 14 août 2015

Mutex

Les blancs jouent et gagnent en 2 coups.

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Si vous ne trouvez pas rapidement, on ne vous jettera pas la pierre.

Solution Solution

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mardi 11 novembre 2014

Soirée pour la défense des libertés sur Internet

Ce mercredi a lieu à Parie une Soirée pour la pérennité de la défense des libertés sur Internet, organisée par la Quadrature du Net (l'organisation évoquée dans l'article sur la neutralité du Net).

Occasion rare : La Quadrature du Net rassemble sa nébuleuse et ses amis le mercredi 12 novembre 2014 pour discuter du présent et du futur de la défense des libertés sur Internet et présenter les activités de l'association. Profitant du lancement de sa campagne de financement, La Quadrature du Net invite tous ses sympathisants à NUMA (39, rue du Caire à Paris) à 19 heures. Pour les non-parisiens, l'événement sera diffusé en streaming.

Cette soirée sera l'occasion de partager nos visions sur l'avenir des droits fondamentaux sur Internet et de leur défense citoyenne, en France, en Europe et au delà. Que ce soit pour lutter contre la censure privatisée au nom du droit d'auteur ou du « droit à l'oubli », de la surveillance de masse ; qu'il s'agisse de la neutralité du Net, de la protection des données, de la maîtrise de l'infrastructure au travers des services décentralisés, de l'ouverture des fréquences hertziennes ou de la réforme du droit d'auteur, il est plus que jamais important de continuer un travail de fond afin de protéger nos libertés.




Même soir même heure, de l'autre côté de la rue à la Maison du Bitcoin a lieu une rencontre sur le thème de la régulation des crypto-devises.

Dans le quartier se trouve un beau mur végétal que connaissent les adeptes du geocaching puisque s'y trouve une cache nommée l'Oasis d'Aboukir.

vendredi 24 janvier 2014

Contre les loi mémorielles

Soyons pragmatiques, même si l'histoire est écrite par les vainqueurs, les lois mémorielles[1], bien que partant d'une bonne intention, fractionnent la société en terme d'idéologie, pour le pire plutôt que pour le meilleur.

Note

[1] La loi Fabius-Gayssot, par exemple, a été déclarée anticonstitutionnelle par le Conseil Constitutionnel qui écrivit dans son rapport du 28 février 2012 : « Alinéa 6 […] Considérant qu’une disposition législative ayant pour objet de « reconnaître » un crime de génocide ne saurait, en elle-même, être revêtue de la portée normative qui s’attache à la loi ; […] ; qu’en réprimant ainsi la contestation de l’existence et de la qualification juridique de crimes qu’il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à l’exercice de la liberté d’expression et de communication ; que, dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, l’article 1er de la loi déférée doit être déclaré contraire à la Constitution ; que son article 2, qui n’en est pas séparable, doit être également déclaré contraire à la Constitution. DÉCIDE : Article 1er.- La loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi est contraire à la Constitution. »

mardi 21 janvier 2014

Droit international, vie privée, et internet

La Déclaration universelle des droits de l'homme définit selon l'ONU "l'idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations".

L'article 12 de cette déclaration est le suivant : Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.

La vie privée comme droit inaliénable de l'homme est également le point de vue de Bruce Schneier, au contraire de celui du PDG de Google Éric Schmidt.

Avec l'avènement d'internet et des technologies numériques en général, l'ONU a pensé qu'il serait de bon aloi de mettre à jour cet article avec des considérations plus contemporaines.

C'est ainsi que lors de la soixante-huitième session de l'Assemblée générale s'étant tenue il y a deux mois, l'attention de la troisième commission s'est portée entre autres sur le droit à la vie privée à l'ère du numérique (the right to privacy in the digital age). En résulta un document (original en anglais) stipulant que l'Assemblée générale :

  1. Réaffirme le droit à la vie privée, selon lequel nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance et le droit à la protection de la loi contre de telles immixtions, que définissent l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques;
  2. Reconnaît le fait qu’Internet est par essence mondial et ouvert à tous et que les progrès rapides dans le domaine des technologies de l’information et des communications constituent un moteur du développement sous ses diverses formes;
  3. Affirme que les droits dont les personnes jouissent hors ligne doivent également être protégés en ligne, y compris le droit à la vie privée;
  4. Invite tous les États :
    1. À respecter et à protéger le droit à la vie privée, notamment dans le contexte de la communication numérique;
    2. À prendre des mesures pour faire cesser les violations de ces droits et à créer des conditions qui permettent de les prévenir, notamment en veillant à ce que la législation nationale applicable soit conforme aux obligations que leur impose le droit international des droits de l’homme;
    3. À revoir leurs procédures, leurs pratiques et leur législation relatives à la surveillance et à l’interception des communications, et à la collecte de données personnelles, notamment à grande échelle, afin de défendre le droit à la vie privée en veillant à respecter pleinement toutes leurs obligations au regard du droit international;
    4. À créer des mécanismes nationaux de contrôle indépendants efficaces qui puissent assurer la transparence de la surveillance et de l’interception des communications et de la collecte de données personnelles qu’ils effectuent, le cas échéant, et veiller à ce qu’ils en répondent, ou à les maintenir en place s’ils existent déjà;
  5. Prie la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme de lui présenter, à sa soixante-neuvième session, ainsi qu’au Conseil des droits de l’homme, à sa vingt-septième session, un rapport sur la protection et la promotion du droit à la vie privée dans le contexte de la surveillance et de l’interception des communications numériques et de la collecte des données personnelles sur le territoire national et à l’extérieur, y compris à grande échelle, dans lequel elle proposera aux États Membres des vues et recommandations;
  6. Décide d’examiner la question à sa soixante-neuvième session, au titre de la question subsidiaire intitulée « Questions relatives aux droits de l’homme, y compris les divers moyens de mieux assurer l’exercice effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales » de la question intitulée « Promotion et protection des droits de l’homme ».

Cette invitation semble bienvenue à l'heure où les communications sur le réseau internet font l'objet de toutes sortes de filtrage et d'interceptions de la part de nombreuses agences et entités dans le monde, comme le souligne le rapport 2014 de Human Right Watch.

En même temps, mettons-nous à la place des services de renseignements, qui sont bien embêtés par toutes ces règlementations autour de la vie privée qui les empèchent de mener leurs enquêtes tranquillement. Les agences américaines, en virtuose de la Realpolitik du renseignement, ont appris à en faire peu de cas.

Aussi paradoxal que ça puisse paraître, la règlementation de l'usage d'internet, le réseau mondial, relève assez peu du droit international.

lundi 13 mai 2013

Sexualité et ACM

Le numéro 82 des cahiers de l'animation aborde un thème pas inintéressant et très positif pour augmenter le nombre de mots-clefs raccoleurs de ce blog : la sexualité en accueil collectif de mineurs (ACM). On trouve ainsi :

  • un éditorial d'Alain Gheno intitulé Le sexe des anges,
  • un article assez freudien, Sexualité dans le développement de l'enfant, par Dominique Besnard, évoquant une bienveillance qui "ni ne banalise ni ne dramatise",
  • un article Entre séduction et interdit par Yaëlle Amsellem-Mainguy et Aurélia Mardon, inspiré d'un rapport intitulé Des vacances entre jeunes : partir en "colo" (pdf), qui aborde la question : mais que signifie la première boum ?
  • un article assez reichien, Sexualité des jeunes enfants, par Ronan David, encourageant à adopter un regard critique et un questionnement infini.

Tout à la fin du magazine il y a aussi un texte sur la fabrication d'un flipper artisanal, et sur la dernière page il y a une illustration réminescente de Fernand Deligny.

Complément (mars 2015) : un très bon article du site Jurisanimation qui aborde l'aspect législatif du sujet : Le mythe de la majorité sexuelle.

lundi 4 février 2013

Bioéthique 2013

Les débats sociétaux autour de la bioéthique, du transhumanisme, du mariage homo, des mères porteuses, de la vie, deviennent de plus en plus d'actualité. Or, cette semaine avait lieu le Forum Européen de Bioéthique 2013 à Strasbourg, avec un vaste programme. Au-delà des aspects artistiques précédemment évoqués, les thèmes étaient :

Avec les progrès de la médecine et de la biologie de synthèse, l’Homme va-t-il pour la première fois prendre la main sur l’évolution et l’équilibre des espèces vivantes ?

De l’Homme réparé à l’Homme augmenté : en route vers le post-humain ? L’Homme augmenté est doté de techniques qui permettent d’accroitre ses capacités naturelles. Personnage favori de la science-fiction, il se dessine progressivement dans notre réalité. Quelles conséquences pour l’humanité ?

Conférence inaugurale à deux voix. Jean-François Mattei. Ancien ministre, président de la Croix-Rouge française, président du conseil scientifique du Forum Européen de Bioéthique en 2010, membre du conseil scientifique du Forum Européen de Bioéthique. Israël Nisand. Professeur de médecine, chef du pôle de gynécologie obstétrique...

Débat très intéréssant qui cristallise la thématique du forum, portant sur les sujets de l'appartenance du corps (a-t-on un corps ? est-on un corps ?), du transhumanisme, de l'avortement, des dons d'organe, de la procréation médicalement assistée, de l'adoption, des mères porteuses, de l'eugénisme, etc.

Greffe de la main, greffe de la peau, greffe du visage… les succès médicaux se confirment. Mais quelles questions éthiques et identitaires posent-elles au sein de notre société et en premier lieu aux personnes concernées ?

Donner et recevoir. Quels sens revêtent ces deux notions, à priori consensuelles ? Car à y regarder de près, les sens divergent, y compris d’un pays à l’autre en Europe. Le débat est éthique, philosophique et juridique. Pas de don sans dette, disait Marcel Mauss.

Le marché des organes humains prospère à l’échelle mondiale. En dépit des lois, des réseaux sont démantelés, des scandales éclatent, et le récent rapport de l’Organisation mondiale de la santé s’en alarme. Le vol d’organes, la vente d’organes sont juteux et dramatiques pour les personnes et les pays vulnérables.

Rien ne se jette, tout se recycle, y compris les matériaux issus des blocs opératoires. Mais avec quelle information, quel consentement et à quels usages ?

Détaché du corps inerte, la conscience peut néanmoins être active. Etat paradoxal qui pose la question de la subjectivité à la matérialité du corps et interroge le praticien et la société dans ses choix. Même les frontières de la mort s’en trouvent reculées.

Autour du corps comme matière première à modeler selon l'ambiance du moment, les usages et comme support d'expression, y compris dans l'art.

Identifier par l’empreinte, le sang, l’iris, les cheveux… Les outils scientifiques servant à la traçabilité fleurissent et dans leur sillage des questions nombreuses sur la liberté individuelle et les pratiques mercantiles.

De la difficulté à penser le corps, à vivre cette « pesanteur » et sa « chute ». Regards croisés entre les disciplines, les cultures et les époques.

Corps malade, corps tatoué, corps scarifié. Entre les maux, l’ornementation et la sublimation du corps, comment comprendre ces pratiques autour du corps ? Que disent les maux du corps ?

Est-ce une nouvelle façon de vieillir ? LLe moyen de se recréer ? La jeunesse devient aussi un vesteur de l'intégration sociale.

Le droit pose ce postulat : l’indisponibilité du corps humain. Mais entre la note de cadrage et les pratiques, la réalité est beaucoup plus nuancée.

La médecine et la recherche sont en train de franchir un cap important concernant le remplacement de pièces détachées du corps. Jusqu’où ira la médecine du corps en kit ? A quels usages ?

Quelles pratiques entourent les essais sur le médicament et les techniques chirurgicales ?

Le grand marché des pilules de la surpuissance et du bonheur font écho à la suprématie du culte de la performance.

L’Homme va-t-il pour la première fois prendre la main sur l’évolution et l’équilibre naturel des espèces vivantes ?

Entre les tenants du pour et contre reste cette question : a-t-on vraiment le choix de dire oui ou non à la prostitution.

Démêler les fils entre sexe, genre, identité et orientations sexuelles sur un fond d'évolutions sociétales bouleversantes.

Au final, des sujets biophilosophiques assez liés à l'actualité politique et aux réflexions contemporaines.

mercredi 23 janvier 2013

Neutralité du net

Au cours de sa mini-guerre commerciale contre Google, l'opérateur de téléphonie Free a décidé de filtrer certaines publicités sur le réseau de ses abonnés[1], ce qui va à l'encontre du principe de neutralité du réseau internet. C'est donc le bon moment de rappeler la présentation de Benjamin Bayart sur le sujet lors de l'exposition "le libre en fête" 2011 organisée par Swisslinux (un réunion de geeks, comme makeopendata). Étaient également présents de jolis robots, comme Nao, dont était vanté le très bon WAF (Wife Acceptance Factor).

Nao

Résumé : Benjamin Bayart, expert en télécommunications, président de French Data Network et militant, s'est fait connaître dès 2007, notamment par ses prises de position contre le contrôle d'internet et la loi HADOPI. Sa conférence sur la neutralité[2] du net lui permettra d'insister sur les discriminations qui peuvent exister à diverses étapes de la transmission de l'information à travers Internet, et de proposer des solutions concrètes pour garantir cette neutralité.

Muni de diapositives avec des titres bizarres (du style « Factulés » ou « Les atteintes des chandelles »), Benjamin Bayart a rappelé qu'Internet n'était pas un réseau d'ordinateurs mais un réseau de réseaux, très simple[3], servant de support de diffusion. Coupé en deux, les deux parties survivraient, et en cela Internet est plus proche du corail que d'un humain. Il existe plus de 40 000 opérateurs qui gèrent les adresses en respectant les allocations de l'IANA. Et de même que quand on a inventé la vente par correspondance, on n'a pas changé le service postal, quand on a inventé le web, on n'a pas changé Internet. L'intelligence n'est pas dans le réseau, mais elle est périphérique, le réseau n'est qu'un ectoplasme qui transporte sans se poser de questions, de façon « neutre ».

Sur un plan plus social, Benjamin Bayart a mis en avant la « croissance de l'internaute », qui passe progressivement du statut d'acheteur, de kikoolol, de lecteur et de râleur à celui de commentateur, puis d'auteur, voire d'animateur au sein de réseaux d'auteurs. Internet forme donc des générations de citoyens qui développent leur esprit critique et apprennent à débattre de n'importe quel sujet (il y a peut-être une pointe d'exagération dans ces considérations). Mais en résumé, la communication change la société, et Internet change la communication, donc par transitivité Internet change la société. En suivant une approche un peu évolutionniste, de même qu'il y avait une société préhistorique avant l'écriture, il y a eu une société pré-réseau avant Internet. Et toucher la structure du réseau, c'est toucher la structure sociétale (on peut penser que les hommes préhistoriques n'avaient pas développé un intérêt avancé pour la liberté de la presse par exemple).

Qui a donc des raisons de s'en prendre à la neutralité du réseau ?

D'une part certains opérateurs, qui pour des raisons économiques ou commerciales ont recours à des méthodes de priorisation (« web à deux vitesses »), de filtrage, et d'altération des données[4].

D'autre part certains dirigeants politiques, tenants de l'ordre contre le désordre, contre leur propre peuple, par la censure et le contrôle. L'initiative OpenNet classe ainsi les différents types de censure dans les pays du monde selon leur amplitude, qu'on peut voir comme un indicateur de démocratie. Avec ses listes noires et ses lois sur le copyright la France se situe d'ailleurs dans la catégorie Internet sous surveillance.

Au final, Internet c'est un peu ce qu'on en fait. Il est évident qu'il y a des dérives, mais il est difficile de demander à un fabriquant d'acier que celui-ci serve à faire un couteau qui coupe le pain et pas un couteau pour tuer des gens. Les attaques contre la neutralité du net sont des attaques contre l'économie d'abondance qui y prévaut, mais heureusement, les mentalités évoluent.

Notes

[1] Cela signifie par ailleurs que les fournisseurs d'accès à Internet ont la possibilité technique de filtrer certaines données, ce qu'on pourrait appeler l'école chinoise.

[2] La neutralité est l'essence de la politique extérieure suisse, comme le montre la deuxième partie de cet extrait du Daily Show, consacré à l'interdiction de construire des Minarets.

[3] La complexité est parfois une question d'approche. Ainsi la NASA a mis des années à développer un stylo à bille qui puisse fonctionner en apesanteur pour les missions extra-terrestres, tandis que l'agence spatiale russe donnait à ses cosmonautes des crayons à papier.

[4] Pour s'adonner à l'altération de données sur son propre réseau, voir par exemple Newstweek ou le magnifique Upside-Down-Ternet.

mercredi 9 janvier 2013

D'où provient le n° de sécurité sociale ?

Le numéro de sécurité sociale en France, ou numéro d'inscription au répertoire des personnes physiques (abrégé en NIRPP ou plus simplement NIR) est un code alphanumérique servant à identifier une personne dans le répertoire national d'identification des personnes physiques (RNIPP) géré par l'Insee. Il est construit à partir de l'état civil transmis par les mairies (sexe, année et mois de naissance, département et commune de naissance, numéro d'ordre du registre d'état civil). Il s'agit d'un « identifiant fiable et stable, conçu pour rester immuable la vie durant ».

En France, le numéro de sécurité sociale est une bonne clef primaire pour indexer les citoyens ; c'est par exemple le numéro de carte vitale de l'assurance maladie. Il n'est cependant pas parfait, entre autres car il peut exister des doublons. Mais d'où vient-il ? Selon l'article mentionné ci-dessus :

L'inventeur de l'actuel numéro de Sécurité sociale est le contrôleur général des armées René Carmille, spécialiste de la mécanographie par cartes perforées[1], qui le destinait à préparer secrètement la remobilisation de l'Armée, dissoute par l'Armistice de 1940.

À l'origine, René Carmille avait prévu un numéro matricule à 12 chiffres, appelé « numéro de Français » :

  • deux pour l’année de naissance ;
  • deux pour le mois de naissance ;
  • deux pour le département de naissance ;
  • trois pour la commune de naissance (aucun département ne comporte plus de 999 communes) ;
  • trois pour un numéro d’ordre dans le mois de naissance;

Ayant un objet civil, et non militaire, le numéro de Français devait inclure les femmes. C'est pourquoi fut ajouté un 13e chiffre en première colonne, pour le sexe, 1 ou 2. Le numéro d'identité n'est pour Carmille qu'un des éléments d'un vaste système de traitement d'informations statistiques, destinées à gérer l'ensemble des affaires économiques, civiles et militaires. Après des errements consistant à donner une signification aux chiffres non utilisés (3 à 9) de la première colonne, la première composante du numéro d’identification est définitivement limitée au sexe en mai 1945 : 1 pour masculin, 2 pour féminin. L’armée reconstituée continua d’utiliser le « numéro Carmille » et donna le nom de son créateur à des centres de recrutement, de mécanographie ou de télécommunications.

Ce que Wikipédia appelle errements est précisé dans le 20e rapport d'activité de la CNIL de 1999 :

Construit sous l’égide de l’INSEE et certifié par lui à partir d’éléments d’état civil transmis par les mairies (sexe, année et mois de naissance, département et commune de naissance, numéro d’ordre du registre d’état civil), le NIR constitue un identifiant fiable et stable, conçu pour rester immuable la vie durant. Cependant, créé sous le régime de Vichy pour classer les fichiers administratifs et établir des statistiques démographiques, le NIR a été aussitôt utilisé pour distinguer « juifs » et « non-juifs » selon les critères des autorités antisémites de l’époque, la première position du numéro relative au sexe des personnes ayant été complétée sur cette base. Cette mémoire restera attachée au NIR. Il est vrai que la structure de ce numéro pouvait faciliter de telles discriminations. De fait, le NIR est le reflet, sous forme numérique, de l’identité de chacun.

L'article sur René Carmille relate plus en détails cet historique. À la libération, le Service national des statistiques (SNS) devenait l’Insee, et le numéro Carmille devenait le numéro de sécurité sociale, toujours utilisé aujourd'hui.

Notes

[1] La mécanographie par cartes perforées, ancêtre de l'ordinateur, sera utilisée par les Nazis avec le concours d'IBM pour améliorer la logistique des camps de concentration. Cela est détaillé dans la troisième partie du film The Corporation.

lundi 31 décembre 2012

La croissance de la décroissance

Le mois dernier Paul Ariès était invité à parler de décroissance, par ailleurs un des thèmes du GIMUN de cette année. Sur le fond c'était assez clair, sur la forme il est possible que le « compte-rendu » qui suit paraisse un peu désordonné et confus.

Selon Ariès, la nécessité d'une politique de décroissance (sous-entendu: de l'activité économique) provient des deux considérations suivantes :

  • Si les 7 milliards humains vivaient comme les Européens il faudrait 3 planètes pour les supporter (7 s'ils vivaient comme les Américains).
  • Il est moralement injuste que certaines catégories vivent bien mieux que d'autres[1] (ce qui est bien sûr contesté par les tenants du libéralisme).

Muni de son nouveau livre Le socialisme gourmand, Paul Ariès appelle à rompre avec le capitalisme, système « diablement efficace ». Le capitalisme serait en effet un système à la fois :

  • exploitant le travail et pillant les ressources
  • intrinsèquement productiviste, impensable sans croissance
  • imposant des styles de vie et des modes de vie

Selon le gouvernement socialiste actuel, il n'y a pas de solution aux inégalités sans croissance. Il apparaît ainsi que la gauche est divisée en deux catégories : la gauche productiviste (au pouvoir), et la gauche antiproductiviste (qui résiste au progrès[2]).

Paul Ariès fait partie ce cette dernière, dans la tradition des paysans qui s'opposaient au glânage, des ouvriers qui cassaient les machines, de Lafargue, de Fourier, des milieux libertaires, et de certains syndicalistes, et à l'opposé des pessimistes à l'image de l'école de Francfort, où les milieux populaires étaient perdus car perdus dans le milieu de la consommation.

La décroissance que défend Paul Ariès n'est pas celle du journal La Décroissance, synonyme d'austérité, de « décroissance de droite », malthusienne, mais plutôt d'une décroissance « intelligente ». Il y a de nombreuses directions pour aller dans la direction d'une décroissance raisonnable, telles que la lutte contre obsolescence programmée et contre le gaspillage : (un produit fini représente 4% des ressources mises en oeuvre pour sa fabrication). Surtout, la planète est assez riche pour passer à ce que les Amérindiens appellent le buen vivir. Il faudrait 40 milliards de dollars pour régler le problème de la sous-nutrition dans le monde (comme le souligne d'ailleurs Jean Ziegler dans le film We feed the world) et 60 milliards pour régler celui de la pauvreté, soit moins de 0.2% du PIB mondial. En même temps, le budget annuel mondial de l'armement est de 1000 milliards de dollars, celui de la publicité est de 900 milliards de dollars, et le produit international criminel (PIC) est estimé également à 1000 milliards.

Il y a ainsi deux concepts clefs dans la « bonne voie » envisagée : redistribution différente et décroissance intelligente. Et y parvenir demanderait un peu de psychologie, car on ne changera pas le monde en culpabilisant ni en faisant appel aux responsabilités mais en suscitant le désir. Le désir, essentiellement, de trois choses[3] :

  1. Le développement de l'économie sociale et solidaire, qui représente aujourd'hui environ 10% de l'économie en France, et a constitué un des secteurs qui a le mieux résisté à la crise[4].
  2. L'extension de la sphère de la gratuité qui passe par un nécessaire développement d'une culture de la gratuité[5] (un thème cher aux partis pirates).
  3. Le développement de la désobéissance à la croissance. Paul Ariès rêve d'une gauche objectrice de croissance tout en évoquant un forum national de la désobéissance multipliant les appels à la désobéissance civile, professionnelle, et institutionnelle.

Dès lors qu'on considère l'intérêt du plus grand nombre dans le cadre d'une « économie du bonheur », les étudent réfutent l'idée d'une corrélation entre pib et accès au bonheur mais trouvent en revanche un lien entre type de société et accès au bonheur. Ainsi Richard Wilkinson montre les conséquences négatives des inégalités économiques sur les sociétés. De plus, comme le capitalisme multiplie les individus superflus, un remède pour pallier ces inégalités serait le revenu minimum universel, éventuellement sous forme partiellement démonétarisée (eau, électricité).

En conclusion, peut-être qu'on ne pourra pas changer le monde mais rien ne nous interdit d'en construire un autre[6].

Notes

[1] Il y a une distribution des richesses à la Pareto : 20% des humains se partagent 80% des richesses mondiales. Plus précisément, un individu possédant au moins 5000€ de patrimoine serait dans le top 50% des humains en termes de richesse, dans le top 10% avec 37500€, et dans le top 1% avec 340000€. Voir aussi le site Slavery Footprint pour savoir combien d'esclaves travaillent pour vous.

[2] Paul Ariès semble opposé à certaines formes de progrès et considère assez sombrement les perspectives transhumanistes qui verraient passer l'homo sapiens au robot sapiens (Jacques Testard parle d'« humanité augmentée ») ou au soma sapiens (avec les technologues comme Anders Sandberg (à qui Ariès attribue bizarrement un prix Nobel) qui étudient les sentiments artificiels et l'ingénierie émotionnelle, des thèmes qui seront évoqués dans l'entrée à venir sur la reprogrammation du cerveau).

[3] Quatre, en fait, car on peut ajouter une nécessaire volonté de surcroît de démocratie (cf l'article de Georges Gurvitch Le principe démocratique et la démocratie future ainsi que l'entrée Démocratie et populisme).

[4] Ce secteur concerne essentiellement les classes moyennes et pauvres, qui évoluent. Lors du forum mondial sur la pauvreté organisé par Emmaüs, 2 constats se sont dégagés : d'une part, un pauvre n'est pas un riche sans argent, d'autre part, un naufragé ne pourra jamais retourner dans le système (et tant mieux). De plus, si le XXe siècle a en quelque sorte vu l'apparition des classes moyennes, le XXIe siècle serait plutôt sur la voie de la démoyennisation, ce qui est finalement une bonne chose si elle est à l'origine d'une remise en question du système dans son ensemble.

[5] Lors du forum national de la gratuité, ont été mentionnées des expérimentations sur gratuité de l'eau vitale, des transports en commun, des services funéraires. Paul Ariès récuse le principe d'une gratuité uniquement « pour les pauvres » et lui préfère celui de gratuité d'émancipation, telle que celle de l'école publique. Mais qu'en serait-il avec le logement, la santé, ou l'alimentation ? Il existe de facto un droit à l'expérimentation ; selon la constitution française, des villes peuvent expérimenter des politiques en dehors de la loi, et la gauche s'est en général trop refusée à expérimenter.

[6] On peut voir ça comme une variation du célèbre Si le monde n'a absolument aucun sens, qui nous empêche d'en inventer un ?

lundi 29 octobre 2012

Démocratie et populisme

En théorie, la démocratie, ça ne devrait pas marcher. Les classes sociales de catégories les plus basses, en majorité, devraient être à même de profiter de leur surnombre pour écraser la minorité de nantis, ramenant le régime, au final, à une variation du communisme.

90% des participants aiment les tournantes

(et on ne parle pas de ping-pong)

Cet argument contre la démocratie directe est simple : avec le vote majoritaire vient la tyrannie de la majorité et donc l'oppression des minorités, ce qui est injuste (cf l'entrée sur les minarets en Suisse). Cet argument est également anti-utilitariste (cf aussi l'entrée Pétanque, Chariots, et Mandarins).

Avec cela, la Maison de l'histoire de l'université de Genève invitait ce mois-ci Pierre Rosanvallon, auteur de « La société des égaux », à présenter un exposé intitulé Populisme et démocratie.

Le populisme comme pathologie de la démocratie

Le populisme, selon Pierre Rosanvallon, est un phénomène politique émergeant des difficultés intrinsèques de la démocratie et en constituant une pathologie, à travers quatre axes.

1) Le populisme prétend via la sacralisation du referendum symboliser la « vérité définitive de la démocratie », au-delà des limitations de la représentation.

2) Le populisme se méfie des contre-pouvoirs et des autorités indépendantes, qui sont cependant concurrentes et complémentaires à l'expression électorale.

3) Le populisme, en faisant appel à l'instinct grégaire, veut faire croire à une certaine homogénéité des désirs du peuple, en réalité illusoire.

4) Le populisme est un terreau de l'anti-intellectualisme en mettant en avant le bon sens populaire face aux raisonnements méticuleusement argumentés.

Or, pour Pierre Rosanvallon, le peuple n'est pas un « bloc », mais à la fois :

  • un ensemble électoral, qui engendre une vérité arithmétique à la majorité
  • un corps légal via les cours constitutionnelles représentantes de la mémoire de l'intérêt général
  • un tissu social multicolore, enchevêtrement de communautés d'expression

On est donc loin des temps révolutionnaires où le peuple était artistiquement représenté par une statue d'Hercule, ou du XIXe siècle où l'unanimité était requise pour trancher les décisions, les conflits et fractures étaient vus comme anormaux, et quand le peuple ne s'exprimait pas « d'un seul choeur », c'est qu'il devait y avoir un vice interne quelque part.

Cet argument d'uniformité du peuple comme sous-tendant l'identité d'une nation a été retrouvé dans les pays scandinaves, où la perte progressive d'homogénéité était présentée comme une déchéance. Face à cette menace consécutive au démarrage du capitalisme libéral (« première mondialisation »), des réflexes de national-protectionnisme sont apparus à travers la construction d'une solidarité par l'ostracisme via l'expulsion des gens différents et des allogènes (en France, Maurice Barrès avait intitulé son livre « Contre les Étrangers »).

Le populisme comme simplification

Au sens de Rousseau[1], une République est un régime gouverné par des lois. Ces lois peuvent relever d'une constitution ou être fixées par un gouvernement. La première sert à ériger des droits inaliénables, à long terme, tandis que le second permet de s'adapter aux conditions du moment.

Pierre Rosanvallon reproche au populisme d'effacer ces temporalités distinctes lorsque s'opposent les décisions communes instantanées et la volonté collective avec sa dimension historique, perturbant la société dans sa vision à long terme.

D'autre part, le populisme amène une simplification de représentation. Il existe en effet une grande différence entre ce que promettent les campagnes électorales («yes we can») et ce que réalisent les titulaires du permis de gouverner après les élections («no we can't»). C'est cette tension structurale entre figuration et délégation qui est dénoncée ici. Le paradoxe est qu'on ne peut pas envisager un gouvernement qui soit l'incarnation du peuple, et non plus son délégué[2]. Entre Louis XIV « L'État c'est moi » et Staline (« La Société c'est moi »), Pierre Rosanvallon voit comme nécessaire l'apparition d'une théorie démocratique du referendum.

Démocratie complexe

La démocratie est un sujet plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord, d'où un besoin de « définition démocratique de la démocratie ». Ses ennemis sont surtout ceux qui prétendent l'accomplir en la simplifiant et la tronquant (et le continent principal du populisme est l'Europe). Il s'agit d'être lucide sur ses difficultés, sans faire preuve de triomphalisme vain, et sans se poser comme professeur ou exportateur de démocratie, ce qui engendre au bout du compte ressentiment et désillusion.

Au-delà des constats a minima sur la démocratie :

  • Il ne faut pas trop attendre trop de la démocratie, elle sert juste à éviter la tyrannie.
  • La démocratie est le pire régime à l'exception de tous les autres (Churchill).

Il apparaît que le but d'un tel régime politique n'est pas d'accumuler des décisions, mais de construire de façon argumentée un monde commun.

Comment trouver le juste équilibre entre démocratie directe, dont la pathologie est le populisme et un suffrage pas forcément éclairé[3], et démocratie représentative, dont la pathologie est la démocratie souveraine ? Pierre Rosanvallon affirme que le progrès ne viendra pas de la multiplication des élections (un système à 20 referendums par jour serait en fin de compte antidémocratique) mais plutôt de la multiplication des formes de représentation. À ce sujet, certains organismes comme le Piratenpartei allemand prônent l'utilisation d'internet pour faciliter le vote par procuration à un délégué de son choix lors d'un referendum afin d'implémenter une démocratie liquide[4] (cf ces vidéos -en allemand- : courte, longue). Soit, pour reprendre la terminologie de Michel Foucault, une façon que chacun nomme ses propres ministres.

Notes

[1] Les Anglais croient qu'ils sont libres parce qu'ils élisent des représentants tous les cinq ans mais ils ne sont libres qu'un jour tous les cinq ans : le jour de l'élection. (J.-J. Rousseau)

[2] On peut citer Chavez face à son électorat, « Je ne suis pas Chavez, mais votre double », ou Evita Peron et le césarisme. Napoléon se faisait appeler l'homme-peuple.

[3] Pierre Rosanvallon semble aussi s'opposer au suffrage capacitaire : « Heureusement que nous ne sommes pas gouvernés par des savants ».

[4] Au Pakistan, le groupe Structural Deep Democracy a utilisé à ces fins le Pagerank, l'algorithme original de Google, montrant ainsi que les moteurs de recherche développent des algorithmes d'élection potentiellement utiles à la démocratie.

vendredi 14 septembre 2012

5 histoires juives

Pour fêter la fin de l'année, voilà 5 histoires juives (source).

Benjamin

C'est le petit Benjamin qui joue avec sa maman au bord de la Mer Morte. Voilà que le vent se lève brusquement et déchaîne l'eau. Une puissante vague arrive et emporte le petit Benjamin. Sa mère, éplorée, se met à faire des prières :
- Seigneur, Seigneur ! Ce n'est pas juste, tu dois me le rendre.
Et Dieu (qui aime aussi avoir un peu la paix de temps en temps), au bout de trois jours de prières sans arrêt se décide à faire quelque chose. Alors une deuxième vague, tout aussi grande que la première, rapporte le petit Benjamin sur la plage. Sa mère est évidemment très contente et se met à remercier Dieu :
- Ah, merci, merci Seigneur de m'avoir ramené Benjamin. Mais dis-moi : il me semble qu'il avait une casquette ?

Dans ce cas

David Goldblum discute avec son fils :
- Mon fils, je veux que tu épouses une fille que j'ai choisie pour toi !
- Comment ?! Mais enfin, je veux pouvoir choisir ma femme moi-même !!!
Le père dit alors :
- Mais cette fille est la fille de Bill Gates.
Le fils : "Ahhh, dans ce cas..."
Le lendemain, le père va voir Bill Gates :
- Bonjour, j'ai un mari pour votre fille.
- Comment ?! Mais enfin, ma fille est trop jeune pour se marier !!!
L'homme d'affaires répond alors :
- Mais ce jeune homme est vice-président de la Banque Mondiale...
Bill Gates: "Ahhh, dans ce cas..."
Le surlendemain, le père va voir le président de la Banque Mondiale.
- Bonjour, j'ai quelqu'un à vous recommander comme vice-président de la banque.
- Comment ?! Mais enfin, j'ai déjà plus de vice-présidents qu'il ne m'en faut !!!
Le père : "Mais ce jeune homme est le gendre de Bill Gates."
Le président : "Ahhh, dans ce cas...."

9 mois

Un étudiant du Talmud est ébahi de voir sa femme accoucher trois mois après leur mariage. Il s'adresse à son rabbin :
- Rebbe, rebbe ! Il est arrivé une chose extraordinaire. Ma femme a accouché après seulement 3 mois de mariage. Comment est-ce possible ? Tout le monde sait qu'il faut 9 mois pour faire un bébé...
Le rabbin interrompt sa lecture :
- Mon fils, je vois que tu n'as pas la moindre idée de ce genre de choses. Pourtant le calcul est simple. Tu vis avec ta femme depuis 3 mois ?
- Oui.
- Elle a vécu 3 mois avec toi ?
- Oui.
- Vous avez vécu ensemble 3 mois ?
- Oui.
- Quel est le total de 3 plus 3 plus 3 ?
- 9 mois, rebbe.
- Alors pourquoi viens-tu m'ennuyer avec tes questions stupides ?

Le veau

Dieu parle à Moïse sur le mont Sinaï...
Dieu:
- Et souviens-toi Moïse, en ce qui concerne les lois kasher, ne cuisine jamais un veau dans le lait de sa mère. C'est cruel.
Moïse :
- Ohhhhhh ! Alors on ne doit jamais manger de lait et de viande en même temps ?
Dieu :
- Non, ce que je veux dire, c'est que tu ne dois jamais cuisiner le veau dans le lait de sa mère.
Moïse :
- Mon Dieu, pardonne mon ignorance mais, ce que tu veux dire, c'est que l'on doit attendre 6 heures après avoir mangé de la viande si l'on veut manger quelque chose fait avec du lait, de telle manière que les deux ne se retrouvent pas dans l'estomac en même temps ?
Dieu :
- Non Moïse, c'est tout simple ce que je veux dire: ne cuisine pas le veau dans le lait de sa mère, et c'est tout !!!
Moïse :
- Oh, Mon Dieu ! Je t'en prie, ne me blâme pas pour ma stupidité ! Mais dis-moi plutôt: Tu veux dire que l'on doit avoir un jeu de couverts pour le lait, et un jeu de couverts pour la viande, et que si un jour on se trompe de couverts, on devra enterrer ces couverts à jamais et ne plus les utiliser ?
Dieu :
- Ahhhh Moïse... Fais comme tu veux.

La race humaine

Une petite fille demande un jour à sa mère: Maman, comment la race humaine est-elle apparue?
La maman répond : Dieu fit Adam et Eve et ils eurent des enfants. C'est ainsi que la race humaine est apparue.
Deux jours plus tard, la petite fille pose à son père la même question.
Le papa répond : ll y a très longtemps existaient les singes. Au fil des années ils se transformèrent pour devenir des hommes. C'est ainsi qu'est apparue la race humaine.
Confuse, la petite fille retourne voir sa mère et lui demande : Maman comment se fait-il que tu m'aies dit que la race humaine a été créée par Dieu et que papa m'affirme qu'elle vient du singe ?
Chérie, répond la maman, c'est que moi je t'ai parlé de l'origine de ma famille et ton père de la sienne !

Bonus

Une petite histoire, le bambou chinois.

lundi 11 juin 2012

Le procès du singe

Juillet 1925. John Scopes est accusé d’avoir enseigné à ses élèves la théorie de l’évolution. La petite ville de Dayton, Tennessee, va vivre l’un des plus célèbres procès de l’histoire américaine : le procès du singe, ou Scopes trial. L'enjeu : l'enseignement de la théorie de l'évolution, du dessein intelligent, et les interférences entre droit et religion sur le terrain de l'éducation.

L'introduction de l'article susmentionné est la suivante :

Replongeons-nous dans le contexte. Nous sommes au beau milieu des twenties : prospérité économique, progrès scientifique et technologique, Betty Boop, nous voilà au coeur des années folles ! Cependant, au delà de l'insouciance, la barbarie de la Première Guerre Mondiale a montré que les progrès scientifiques n'étaient pas uniquement bénéfiques. En outre, on assiste à des phénomènes inquiétants : les jupes des jeunes filles, par exemple, se rapprochent dangereusement du genou !

Pour certains, ces changements sont les preuves d'un profond malaise. La barbarie guerrière et la légèreté des moeurs ont un responsable : Darwin. Quel rapport, me direz-vous, entre Darwin et la guerre ? Plus encore, quel rapport entre Darwin et les jupes ?

Darwin, sans jamais se prononcer sur l'origine première de la vie, a prétendu que les hommes et les singes partageaient un même ancêtre, par un processus lent et graduel. Des questions d'ordre métaphysique se posent alors : quelle différence y a-t-il entre un homme et un singe ? A quelle étape du processus de "descendance avec modification" est apparue l'âme humaine ? Finalement, l'homme ne serait-il qu'un animal, une bête répondant à ses instincts primaires ?

La Bible, elle, propose une toute autre vision. Elle prétend que l'homme a été créé par Dieu. L'homme est donc un être unique, moralement supérieur aux animaux, et investi d'un devoir divin. Selon les fondamentalistes protestants, ces deux visions sont incompatibles. Il serait même urgent de se regrouper autour des valeurs fondamentales de la tradition chrétienne. Dans cette optique, Darwin et sa théorie sont, finalement, les ennemis de la moralité.

L'article poursuit plus loin :

La société américaine est donc tiraillée entre l'appel du progrès et le retour aux sources. L'État du Tennessee prend parti en 1925 avec le "Butler Act", loi qui interdit d'enseigner "une théorie qui nie la Création divine de l'homme telle qu'elle est enseignée dans la Bible et qui prétend que l'homme descend d'un ordre inférieur d'animaux".

L'ACLU (American Civil Liberties Union) réagit immédiatement. Inquiétée par l'obscurantisme et l'intolérance d'une telle législation, elle met en place un stratagème pour casser cette loi. Aux États-Unis, si un citoyen se fait arrêter pour avoir violé une loi, il peut demander à ce qu'un magistrat examine si celle-ci est constitutionnelle ou non. Au terme d'un processus juridique, la loi peut aboutir jusqu'à la Cour Suprême, qui peut alors la casser.

C'est sur cette procédure que compte s'appuyer l'ACLU, mais pour cela il lui faut un enseignant qui accepte de violer la loi. Et quoi de plus simple, pour recruter, que de passer par les petites annonces ?

Un homme d'affaire de Dayton tombe justement sur l’annonce de l’ACLU. Intéressé, il se dit qu'un procès serait un bon coup de pub pour sa ville d'adoption — sans parler des retombées économiques ! Il s'arrange donc, avec d’autres notables locaux, pour convaincre le nouveau professeur de sciences naturelles, John Thomas Scopes.

Une fois le marché conclu, l’homme d’affaire alerte les autorités, faussement scandalisé : un professeur enseignerait à ses élèves que l’homme descend du singe !

S'en suivit un procès qui fut à la fois ennuyeux et spectaculaire (un peu comme le fut le match Anand vs Gelfand). On considère généralement que Clarence Darrow, avocat de Scopes, a gagné le procès, grâce notamment à son somptueux interrogatoire de son adversaire, mais un détail technique l’empêchera finalement d’aller jusqu’à la Cour Suprême. Le Butler Act restera en vigueur jusqu’en 1967...

À noter que Clarence Darrow se rendit également célèbre par son rôle dans l'affaire Leopold & Loeb : il sauva deux personnes de la peine de mort pour kidnapping et meurtre d'un enfant, en argumentant que parfois l'influence de l'environnement au détriment du libre-arbitre était telle qu'elle rendait ses victimes pénalement irresponsables.

vendredi 16 décembre 2011

Les bons plans du métro parisien

L'opendata, c'est bien joli, mais à quoi ça sert ? Une illustration récente est rapportée par Slate : la compagnie CheckMyMetro utilisait le plan officiel de la RATP dans son application iPhone. Cela n'a pas plu à la Régie, qui dans une attitude d'ouverture que l'on est en droit d'attendre d'un service public, a porté cette affaire devant la justice en exigeant le retrait de l'application du marché, au motif que le dessin du plan était déposé auprès de l'institut national de propriété industrielle (INPI). LA RATP a (logiquement) gagné, et a refusé depuis de rendre son plan libre de droit.

CheckMyMetro, qui voulait continuer à proposer son application, n'avait pas d'autre choix que de la baser non sur le plan de la RATP, mais sur un plan alternatif, qui fournirait des informations tout aussi pertinentes (voire plus) sans pour autant qu'il ressemble au plan officiel afin d'éviter une plainte pour contrefaçon. La société a donc créé un concours dont l'objet était l'établissement d'un tel plan alternatif (une forme de crowdsourcing).

Co-médaille d'or, le plan de Jérome Laval, dont est extraite l'image ci-dessous, quantifie les directions selon des multiples de 45°.

Extrait du plan du métro parisien, par Jérôme Laval ("plan d'or")

Médaille d'argent, le plan de "nohjan" (sources, SVG), place les stations selon leur position géographique précise, comme l'explique son auteur, entre autres détails.

Bilan, l'adage "si vous n'ouvrez pas vos données, quelqu'un d'autre le fera" s'applique, des beaux plans ont été créés, et la RATP est restée à quai.

Mise à jour (août 2012) : la RATP a finalement rendu son plan accessible gratuitement. Ne manque plus que la mise à disposition des horaires des passages des métros en station en temps réel et le métro parisien sera rentré dans l'ère de l'opendata.

jeudi 6 octobre 2011

Carlin on God

He loves you, and he needs money. George Carlin on God.


A marketing decision. George Carlin on the ten commandments.


''Update (January 2016)'' : dead links replaced.

mercredi 28 septembre 2011

Débat sur les minarets en Suisse (2009)

Le 29 novembre 2009, les Suisses étaient appelés à voter sur une initiative populaire demandant l'interdiction de construire de nouveaux minarets. À cette occasion, quelques temps avant la votation fut organisé sur la télévision nationale un débat entre Oskar Freysinger, représentant valaisan de l'Union Démocratique du Centre (UDC), et Tariq Ramadan, professeur d'islamologie à Oxford.

"Faut-il interdire les minarets en Suisse ?", tel était le titre de l'émission.


À mon humble avis, Oskar Freysinger a beau parler fort et agiter les mains, il perd ce débat. En résumé, il évoque le fait que pour respecter l'État de droit, il n'est pas question d'aménager les lois civiles pour faire plaisir aux musulmans, ce qui serait le pied dans la porte vers des modifications de plus en plus radicales. Mais d'une part ça n'a rien à voir avec les minarets, d'autre part les exemples qu'il donne ne sont pas pertinents et Tariq Ramadan répète que le Coran stipule que les musulmans résidant dans un pays à majorité non musulmane doivent se soumettre aux lois locales, comme le montre l'échange partie 4 2:26-3:40 avec un autre membre de l'UDC.

À la lumière de ces déclarations, ce que Freysinger et consorts pourraient à la limite dénoncer est le complot diabolique suivant :
  1. Des musulmans commencent à s'installer en Europe. Ils respectent l'islam en étant soumis aux lois civiles du pays où ils résident, prioritaires sur les lois internes religieuses.
  2. Grâce à l'immigration et à la démographie (indice de fécondité supérieur), les musulmans deviennent la majorité de la population.
  3. Par le biais de la démocratie (tyrannie de la majorité), les musulmans changent les lois civiles du pays en celles de la charia.
  4. L'Europe est ainsi progressivement et démocratiquement islamisée, elle est "down by law".
Le fait que les musulmans doivent respecter les lois du pays où ils résident est la pierre angulaire de ce scénario, car elle rend possible l'acceptation initiale des musulmans par les autochtones. En effet, une catégorie de personne qui débarquerait et ne respecterait pas les lois civiles sous le prétexte d'une loi divine différente serait stigmatisée et plus ou moins chassée du pays. Cette conformité aux lois civiles est donc le cheval de Troie de l'invasion, et n'est qu'un passage obligé, mais temporaire, vers le nouvel ordre musulman européen.

À mon humble avis également, ce n'est pas un débat de très haute qualité, car les participants n'arrêtent pas de s'interrompre mutuellement, la modératrice n'arrête pas de changer de sujet, la régie n'arrête pas d'afficher des petites illustrations pendant que les intervenants parlent.

Au final, 57,5% des votants helvétiques ont approuvé l’interdiction de construire de nouveaux minarets, qui est donc rentrée en vigueur. C'est la démocratie.