Radjaïdjah Blog

Mot-clé - utilitarisme

Fil des billets - Fil des commentaires

mardi 13 janvier 2015

The dark side of technology

After the dark side of chocolate and the dark side of intelligence, here is evoked the dark side of technology, explored by Charlie Brooker's mini-series Black Mirror.

  • 1x01 ★ - The National Anthem - Upon the abduction of the Queen's daughter, a mysterious kidnapper has a bizarre request. Themes: social media, peer pressure, utilitarianism.

Black_Mirror_1x01.png

  • 1x02 ★ - Fifteen Million Merits - In a world where low-rank people operate bikes to power their environment, there is one escape: a X-factor-like TV contest. Or is there? Themes: TV show, entertainment, systems, rebellion, purpose.

Black_Mirror_1x02.png

  • 1x03 - The Entire History of You - In these days most of people are equipped with a device recording their life, and can at any moment replay or share any part from its databank. Trust issues arise within a hi-tech couple as the wife refuses to show some episodes of her own past. Themes: device implantation, privacy, openness, augmented reality, memory.

Black_Mirror_1x03.png

  • 2x01 - Be Right Back - The sudden death of her husband leads a woman to use a new online service that lets people stay in touch with a virtual version of the deceased. Themes: death, memory, IA, social media.

Black_Mirror_2x01.png

  • 2x02 - White Bear - A woman wakes up only to find herself and a bunch of allies chased by costumed characters, while ordinary people record the hunt on their smartphones. Flashes trigger blurry memory flashbacks. Themes: memory, justice.

Black_Mirror_2x02.png

  • 2x03 - The Waldo Moment - The rise of a virtual candidate and the fall of its human interpreter. Themes: political campaigns, social medias.

Black_Mirror_2x03.png

  • Special ★ - White Christmas - A 3-part dialog in a wooden outpost of two men sharing their troubled past. Themes: memory, augmented reality, coaching, slavery.

Black_Mirror_Sx01.png

Best episodes are starred.

lundi 31 décembre 2012

La croissance de la décroissance

Le mois dernier Paul Ariès était invité à parler de décroissance, par ailleurs un des thèmes du GIMUN de cette année. Sur le fond c'était assez clair, sur la forme il est possible que le « compte-rendu » qui suit paraisse un peu désordonné et confus.

Selon Ariès, la nécessité d'une politique de décroissance (sous-entendu: de l'activité économique) provient des deux considérations suivantes :

  • Si les 7 milliards humains vivaient comme les Européens il faudrait 3 planètes pour les supporter (7 s'ils vivaient comme les Américains).
  • Il est moralement injuste que certaines catégories vivent bien mieux que d'autres[1] (ce qui est bien sûr contesté par les tenants du libéralisme).

Muni de son nouveau livre Le socialisme gourmand, Paul Ariès appelle à rompre avec le capitalisme, système « diablement efficace ». Le capitalisme serait en effet un système à la fois :

  • exploitant le travail et pillant les ressources
  • intrinsèquement productiviste, impensable sans croissance
  • imposant des styles de vie et des modes de vie

Selon le gouvernement socialiste actuel, il n'y a pas de solution aux inégalités sans croissance. Il apparaît ainsi que la gauche est divisée en deux catégories : la gauche productiviste (au pouvoir), et la gauche antiproductiviste (qui résiste au progrès[2]).

Paul Ariès fait partie ce cette dernière, dans la tradition des paysans qui s'opposaient au glânage, des ouvriers qui cassaient les machines, de Lafargue, de Fourier, des milieux libertaires, et de certains syndicalistes, et à l'opposé des pessimistes à l'image de l'école de Francfort, où les milieux populaires étaient perdus car perdus dans le milieu de la consommation.

La décroissance que défend Paul Ariès n'est pas celle du journal La Décroissance, synonyme d'austérité, de « décroissance de droite », malthusienne, mais plutôt d'une décroissance « intelligente ». Il y a de nombreuses directions pour aller dans la direction d'une décroissance raisonnable, telles que la lutte contre obsolescence programmée et contre le gaspillage : (un produit fini représente 4% des ressources mises en oeuvre pour sa fabrication). Surtout, la planète est assez riche pour passer à ce que les Amérindiens appellent le buen vivir. Il faudrait 40 milliards de dollars pour régler le problème de la sous-nutrition dans le monde (comme le souligne d'ailleurs Jean Ziegler dans le film We feed the world) et 60 milliards pour régler celui de la pauvreté, soit moins de 0.2% du PIB mondial. En même temps, le budget annuel mondial de l'armement est de 1000 milliards de dollars, celui de la publicité est de 900 milliards de dollars, et le produit international criminel (PIC) est estimé également à 1000 milliards.

Il y a ainsi deux concepts clefs dans la « bonne voie » envisagée : redistribution différente et décroissance intelligente. Et y parvenir demanderait un peu de psychologie, car on ne changera pas le monde en culpabilisant ni en faisant appel aux responsabilités mais en suscitant le désir. Le désir, essentiellement, de trois choses[3] :

  1. Le développement de l'économie sociale et solidaire, qui représente aujourd'hui environ 10% de l'économie en France, et a constitué un des secteurs qui a le mieux résisté à la crise[4].
  2. L'extension de la sphère de la gratuité qui passe par un nécessaire développement d'une culture de la gratuité[5] (un thème cher aux partis pirates).
  3. Le développement de la désobéissance à la croissance. Paul Ariès rêve d'une gauche objectrice de croissance tout en évoquant un forum national de la désobéissance multipliant les appels à la désobéissance civile, professionnelle, et institutionnelle.

Dès lors qu'on considère l'intérêt du plus grand nombre dans le cadre d'une « économie du bonheur », les étudent réfutent l'idée d'une corrélation entre pib et accès au bonheur mais trouvent en revanche un lien entre type de société et accès au bonheur. Ainsi Richard Wilkinson montre les conséquences négatives des inégalités économiques sur les sociétés. De plus, comme le capitalisme multiplie les individus superflus, un remède pour pallier ces inégalités serait le revenu minimum universel, éventuellement sous forme partiellement démonétarisée (eau, électricité).

En conclusion, peut-être qu'on ne pourra pas changer le monde mais rien ne nous interdit d'en construire un autre[6].

Notes

[1] Il y a une distribution des richesses à la Pareto : 20% des humains se partagent 80% des richesses mondiales. Plus précisément, un individu possédant au moins 5000€ de patrimoine serait dans le top 50% des humains en termes de richesse, dans le top 10% avec 37500€, et dans le top 1% avec 340000€. Voir aussi le site Slavery Footprint pour savoir combien d'esclaves travaillent pour vous.

[2] Paul Ariès semble opposé à certaines formes de progrès et considère assez sombrement les perspectives transhumanistes qui verraient passer l'homo sapiens au robot sapiens (Jacques Testard parle d'« humanité augmentée ») ou au soma sapiens (avec les technologues comme Anders Sandberg (à qui Ariès attribue bizarrement un prix Nobel) qui étudient les sentiments artificiels et l'ingénierie émotionnelle, des thèmes qui seront évoqués dans l'entrée à venir sur la reprogrammation du cerveau).

[3] Quatre, en fait, car on peut ajouter une nécessaire volonté de surcroît de démocratie (cf l'article de Georges Gurvitch Le principe démocratique et la démocratie future ainsi que l'entrée Démocratie et populisme).

[4] Ce secteur concerne essentiellement les classes moyennes et pauvres, qui évoluent. Lors du forum mondial sur la pauvreté organisé par Emmaüs, 2 constats se sont dégagés : d'une part, un pauvre n'est pas un riche sans argent, d'autre part, un naufragé ne pourra jamais retourner dans le système (et tant mieux). De plus, si le XXe siècle a en quelque sorte vu l'apparition des classes moyennes, le XXIe siècle serait plutôt sur la voie de la démoyennisation, ce qui est finalement une bonne chose si elle est à l'origine d'une remise en question du système dans son ensemble.

[5] Lors du forum national de la gratuité, ont été mentionnées des expérimentations sur gratuité de l'eau vitale, des transports en commun, des services funéraires. Paul Ariès récuse le principe d'une gratuité uniquement « pour les pauvres » et lui préfère celui de gratuité d'émancipation, telle que celle de l'école publique. Mais qu'en serait-il avec le logement, la santé, ou l'alimentation ? Il existe de facto un droit à l'expérimentation ; selon la constitution française, des villes peuvent expérimenter des politiques en dehors de la loi, et la gauche s'est en général trop refusée à expérimenter.

[6] On peut voir ça comme une variation du célèbre Si le monde n'a absolument aucun sens, qui nous empêche d'en inventer un ?

mercredi 19 décembre 2012

Que faire de l'Orthodox Union ?

Après les maillots du PSG et le chocolat, voici l'Orthodox Union.

L'Orthodox Union est une organisation juive américaine connue pour ses certificats de cacherout se traduisant par le label Ⓤ figurant sur les produits validés. Bon.

Ce mois-ci, après la condamnation en justice d'un membre de la communauté Satmar de Williamsburg pour agression sexuelle sur mineure, l'Orthodox Union a publié sur son site un communiqué apportant son soutien à ce verdict.

Or, rapporte FailedMessiah, quelques jours après, ce communiqué a disparu du site.

Par la suite, Simcha Katz, président de l'Orthodox Union, a affirmé au New-York Times qu' « en raison de notre manque de connaissance sur les modalités précises du procès et les détails de l'affaire, nous ne sommes pas en position de commenter dans un sens ou l'autre »[1].

Ce revirement peut apparaître comme une sage application du principe de précaution, mais il est plus probable qu'il traduise un soutien implicite au condamné.

Quelles qu'en soient les raisons, il convient de s'interroger sur la crédibilité en résultant pour cette organisation en termes de soutien aux membres de la communauté juive victimes d'abus en son sein.

Addendum (janvier 2013) : selon cet article, la position de l'Orthodox Union n'est pas nouvelle, et relève d'une analyse coût-avantage qui s'inscrit dans le cadre de sa mission de diffusion de ses valeurs.

Notes

[1] Citation originale : "Due to our lack of knowledge of the specifics of the trial and details of the case, we are not in a position to comment one way or the other."

lundi 29 octobre 2012

Démocratie et populisme

En théorie, la démocratie, ça ne devrait pas marcher. Les classes sociales de catégories les plus basses, en majorité, devraient être à même de profiter de leur surnombre pour écraser la minorité de nantis, ramenant le régime, au final, à une variation du communisme.

90% des participants aiment les tournantes

(et on ne parle pas de ping-pong)

Cet argument contre la démocratie directe est simple : avec le vote majoritaire vient la tyrannie de la majorité et donc l'oppression des minorités, ce qui est injuste (cf l'entrée sur les minarets en Suisse). Cet argument est également anti-utilitariste (cf aussi l'entrée Pétanque, Chariots, et Mandarins).

Avec cela, la Maison de l'histoire de l'université de Genève invitait ce mois-ci Pierre Rosanvallon, auteur de « La société des égaux », à présenter un exposé intitulé Populisme et démocratie.

Le populisme comme pathologie de la démocratie

Le populisme, selon Pierre Rosanvallon, est un phénomène politique émergeant des difficultés intrinsèques de la démocratie et en constituant une pathologie, à travers quatre axes.

1) Le populisme prétend via la sacralisation du referendum symboliser la « vérité définitive de la démocratie », au-delà des limitations de la représentation.

2) Le populisme se méfie des contre-pouvoirs et des autorités indépendantes, qui sont cependant concurrentes et complémentaires à l'expression électorale.

3) Le populisme, en faisant appel à l'instinct grégaire, veut faire croire à une certaine homogénéité des désirs du peuple, en réalité illusoire.

4) Le populisme est un terreau de l'anti-intellectualisme en mettant en avant le bon sens populaire face aux raisonnements méticuleusement argumentés.

Or, pour Pierre Rosanvallon, le peuple n'est pas un « bloc », mais à la fois :

  • un ensemble électoral, qui engendre une vérité arithmétique à la majorité
  • un corps légal via les cours constitutionnelles représentantes de la mémoire de l'intérêt général
  • un tissu social multicolore, enchevêtrement de communautés d'expression

On est donc loin des temps révolutionnaires où le peuple était artistiquement représenté par une statue d'Hercule, ou du XIXe siècle où l'unanimité était requise pour trancher les décisions, les conflits et fractures étaient vus comme anormaux, et quand le peuple ne s'exprimait pas « d'un seul choeur », c'est qu'il devait y avoir un vice interne quelque part.

Cet argument d'uniformité du peuple comme sous-tendant l'identité d'une nation a été retrouvé dans les pays scandinaves, où la perte progressive d'homogénéité était présentée comme une déchéance. Face à cette menace consécutive au démarrage du capitalisme libéral (« première mondialisation »), des réflexes de national-protectionnisme sont apparus à travers la construction d'une solidarité par l'ostracisme via l'expulsion des gens différents et des allogènes (en France, Maurice Barrès avait intitulé son livre « Contre les Étrangers »).

Le populisme comme simplification

Au sens de Rousseau[1], une République est un régime gouverné par des lois. Ces lois peuvent relever d'une constitution ou être fixées par un gouvernement. La première sert à ériger des droits inaliénables, à long terme, tandis que le second permet de s'adapter aux conditions du moment.

Pierre Rosanvallon reproche au populisme d'effacer ces temporalités distinctes lorsque s'opposent les décisions communes instantanées et la volonté collective avec sa dimension historique, perturbant la société dans sa vision à long terme.

D'autre part, le populisme amène une simplification de représentation. Il existe en effet une grande différence entre ce que promettent les campagnes électorales («yes we can») et ce que réalisent les titulaires du permis de gouverner après les élections («no we can't»). C'est cette tension structurale entre figuration et délégation qui est dénoncée ici. Le paradoxe est qu'on ne peut pas envisager un gouvernement qui soit l'incarnation du peuple, et non plus son délégué[2]. Entre Louis XIV « L'État c'est moi » et Staline (« La Société c'est moi »), Pierre Rosanvallon voit comme nécessaire l'apparition d'une théorie démocratique du referendum.

Démocratie complexe

La démocratie est un sujet plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord, d'où un besoin de « définition démocratique de la démocratie ». Ses ennemis sont surtout ceux qui prétendent l'accomplir en la simplifiant et la tronquant (et le continent principal du populisme est l'Europe). Il s'agit d'être lucide sur ses difficultés, sans faire preuve de triomphalisme vain, et sans se poser comme professeur ou exportateur de démocratie, ce qui engendre au bout du compte ressentiment et désillusion.

Au-delà des constats a minima sur la démocratie :

  • Il ne faut pas trop attendre trop de la démocratie, elle sert juste à éviter la tyrannie.
  • La démocratie est le pire régime à l'exception de tous les autres (Churchill).

Il apparaît que le but d'un tel régime politique n'est pas d'accumuler des décisions, mais de construire de façon argumentée un monde commun.

Comment trouver le juste équilibre entre démocratie directe, dont la pathologie est le populisme et un suffrage pas forcément éclairé[3], et démocratie représentative, dont la pathologie est la démocratie souveraine ? Pierre Rosanvallon affirme que le progrès ne viendra pas de la multiplication des élections (un système à 20 referendums par jour serait en fin de compte antidémocratique) mais plutôt de la multiplication des formes de représentation. À ce sujet, certains organismes comme le Piratenpartei allemand prônent l'utilisation d'internet pour faciliter le vote par procuration à un délégué de son choix lors d'un referendum afin d'implémenter une démocratie liquide[4] (cf ces vidéos -en allemand- : courte, longue). Soit, pour reprendre la terminologie de Michel Foucault, une façon que chacun nomme ses propres ministres.

Notes

[1] Les Anglais croient qu'ils sont libres parce qu'ils élisent des représentants tous les cinq ans mais ils ne sont libres qu'un jour tous les cinq ans : le jour de l'élection. (J.-J. Rousseau)

[2] On peut citer Chavez face à son électorat, « Je ne suis pas Chavez, mais votre double », ou Evita Peron et le césarisme. Napoléon se faisait appeler l'homme-peuple.

[3] Pierre Rosanvallon semble aussi s'opposer au suffrage capacitaire : « Heureusement que nous ne sommes pas gouvernés par des savants ».

[4] Au Pakistan, le groupe Structural Deep Democracy a utilisé à ces fins le Pagerank, l'algorithme original de Google, montrant ainsi que les moteurs de recherche développent des algorithmes d'élection potentiellement utiles à la démocratie.

lundi 19 septembre 2011

Pétanque, Chariots, et Mandarins

Les scientifiques aiment bien faire des expériences, non seulement parce qu'elles leur permettent de tester leurs théories, mais aussi parce que c'est souvent très amusant. Alors que certaines démonstrations ou certains tests font appel à des appareillages extrêmement sophistiqués, il existe une catégorie d'expériences ne nécessitant aucun matériel : les expériences de pensée, ou Gedankenexperimente pour les intimes.

Un exemple d'expérience de pensée (qu'on qualifierait d'heuristique dans la classification de Popper) qui marche bien avec des élèves est la suivante. Le contexte est la question : on lance un objet de 1 kilo et un objet de 2 kilos du haut de la Tour Eiffel, lequel va arriver en premier au sol ? Pour illustrer que ce n'est pas nécessairement celui de 2 kilos (ce que répondent souvent les élèves), on imagine la situation illustrée ci-dessous : 3 boules de pétanque identiques pesant un kilo sont jetées de la tour Eiffel, elles arrivent en même temps au sol. Alors on rapproche progressivement les deux dernières jusqu'à ce qu'elles forment pour ainsi dire un unique objet de deux kilos. Et donc il est assez direct d'imaginer que les deux objets (1kg et 2kg) atterrissent en même temps, contrairement à l'intuition initiale. En mécanique quantique il existe de célèbres Gedankenexperimente comme le chat de Schrödinger ou le paradoxe EPR.

Boules de pétanques

Les philosophes ont aussi leurs expériences de pensée (d'aucuns diront qu'ils n'ont que ça, mais nous allons laisser ce genre de calomnies à leurs détracteurs), et certaines interrogations issues de la philosophie de l'éthique s'avèrent précieuses lors des soirées de l'ambassadeur.

Ainsi le problème du chariot, introduit par les philosophes Philippa Foot et Judith Jarvis Thomson, est le suivant.

  • Un chariot lancé à pleine course va écraser cinq personnes ligotées sur les rails par un fou. Mais vous pouvez les sauver en aiguillant le chariot sur une autre voie grâce à un interrupteur. Mais il y a une personne ligotée sur l'autre voie. Allez-vous basculer l'interrupteur ?

Selon la philosophie utilitariste (chercher le bonheur du plus grand nombre), il est permis, et même moral, de basculer l'interrupteur. Mais pour ses opposants, ici le fait d'agir nous implique dans la situation et nous rend responsable de la mort de la personne, tandis que l'inaction nous exonère et laisse le fou comme seul responsable. De plus, la vie d'une personne étant incommensurable, la comparaison entre une et cinq potentiels morts n'est pas viable.

Le problème suivant, dit "de l'obèse", s'adresse surtout à celles et ceux qui choisissent de basculer l'interrupteur :

  • Un chariot lancé à pleine course va écraser cinq personnes ligotées sur les rails par un fou. Vous assistez à la scène du haut d'un pont, impuissant. Mais une personne obèse est également présente sur le pont, et vous vous rendez compte qu'il serait facile de pousser la personne obèse du haut du pont afin qu'elle tombe sur la voie, bloquant le chariot dans sa course, sauvant les cinq personnes. Allez-vous pousser la personne obèse ?

La majorité des gens choisit de basculer l'interrupteur et de ne pas pousser l'obèse, ce qui est paradoxal pour les philosophes : pourquoi serait-il moralement acceptable de sauver cinq personnes en en tuant une dans le cas du chariot mais pas dans le cas de l'obèse ?

Il existe une version interactive de ces expériences sur le site fort justement intitulé Philosophy Experiments (réponses personnelles : NNNN YNYY). Il y a d'autres expériences intéressantes sur le site, notamment une conversation avec Dieu, un débat sur l'avortement, et des scénarios de situations critiques.

Les plus courageux pourront aussi lire cette parodie.

Une version bien plus simple du problème du chariot est celle-ci :

  • Un chariot lancé à pleine course va écraser une personne ligotée sur les rails par un fou. Mais vous pouvez la sauver en aiguillant le chariot sur une autre voie grâce à un interrupteur. L'autre voie est libre. Allez-vous basculer l'interrupteur ?

En France, la non-assistance à personne en danger est punie par la loi selon l'article art. 223-6 du code pénal :

Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.

Aux États-Unis un tel délit n'existe pas, la notion de fraternité imposée étant moins présente dans les lois.

Finalement on quitte les chariots pour la Chine, où se déroule une parti de ce scénario, attribué à Jean-Jacques Rousseau.

  • Un obscur mandarin habite Pékin. Vous disposez d'un petit bouton qui vous permet de le tuer à distance sans que personne ne puisse jamais rien savoir. S'il meurt, vous héritez de son immense fortune, en toute impunité. Allez-vous appuyer sur le bouton ?

En accompagnement, cet aphorisme, sur lequel on aura l'occasion de revenir.

Chacun, à toute minute, tue le mandarin ; et la société est une merveilleuse machine qui permet aux bonnes gens d'être cruels sans le savoir.

Alain, Propos sur le bonheur (1910)